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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 129.djvu/102

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tourne en moi comme un refrain : « Tu m’as pris le cœur avec un de tes yeux et avec un de tes cheveux » ?


LA MOSQUÉE ET LE VIEUX PONT


Cordoue, 17 octobre.

Cordoue, c’est Tolède sans son paysage, une Tolède de plaine, à peu près plate. On entre par une avenue bordée d’aloès formidables, et cela dit éloquemment que le climat a changé, que nous sommes en Andalousie, terre africaine. Je revois les mêmes ruelles tournantes et compliquées, pavées de cailloux pointus et de dalles aux deux côtés, les mêmes patios blancs, déserts, avec une fontaine de marbre aperçue au travers des grilles. Mais l’impression générale est bien différente. Tolède était une ville ancienne, et celle-ci n’est que fanée. Trop peu de monumens d’autrefois sont ici restés debout. Ils survivent à l’état d’accidens superbes dans un amas de maisons médiocres, retapées et à demi banales, ou bien intactes mais sans architecture, et telles qu’il faudrait l’étrange caprice des pentes pour leur donner la vie. Une petite joie sort des piquets de fleurs que les femmes plantent dans leurs cheveux : deux roses, trois brins d’œillets, du jasmin blanc surtout. Il faut qu’elles soient bien vieilles pour renoncer à cette coquetterie. La pauvreté s’en accommode. Je viens de m’arrêter devant un soupirail d’où s’échappait le bruit claquant d’un métier, et mes yeux, mal accoutumés à l’obscurité de cette cave, n’ont vu qu’une fleur de géranium-lierre, qui s’élevait et s’abaissait, coupant l’ombre en mesure.

J’allais vers la mosquée, le plus complet, le plus grandiose des monumens arabes que possède l’Espagne. Il est situé presque au bord du Guadalquivir et enveloppé de hauts murs jaunes. Ces Arabes, si habiles à décorer l’intérieur des palais et des temples, négligeaient le dehors. La masse carrée de l’enceinte est comme une mauvaise reliure enfermant le chef-d’œuvre d’un maître enlumineur. On entre par une tour, et, tout de suite, un charme vous saisit. Vous êtes dans un jardin clos, dans un patio planté d’orangers et de palmiers. Des canaux d’arrosage courent de l’un à l’autre. C’est un lien de repos qui précède l’église. Le peuple y vient dormir dans l’ombre ronde des orangers. A la fontaine du milieu, des femmes et des filles emplissent leurs cruches de terre pâle. Traversez le patio et poussez une porte. De la pleine lumière, vous passez dans la pénombre, mais l’impression se prolonge, et l’image d’un jardin ne quitte pas l’esprit. Le bosquet s’est épaissi et assombri seulement. Oh! les douces allées couvertes!