remettait à son retour, je lui dis : « Je vous remercie, capitaine. » Il me répondit fort respectueusement : « Je vous demande pardon, je ne suis que lieutenant. — Vous êtes capitaine, lui répliquai-je, parce que vous le méritez, et que j’ai le droit de vous nommer. » C’est ici la première entrevue de Bonaparte avec moi.
Je m’étais transporté au camp du général Lapoype : la discipline la plus rigoureuse y était observée ; mais, en arrivant à Ollioules, je fus frappé du désordre qui régnait dans la division de Carteaux : ses dispositions militaires étaient mal combinées ; ses batteries ne causaient aucun dommage aux vaisseaux anglais. Cette fameuse coulevrine, qui fut dans la suite d’un si grand secours, placée sans art, faisait alors un feu inutile. Nos munitions de guerre et de bouche étaient gaspillées : j’en conférai avec mon collègue Saliceti. Il pensa, comme moi, qu’il était urgent de renvoyer Carteaux à ses pinceaux ; nous fîmes part de nos observations au Comité de salut public : il nomma le médecin Doppet général en chef de l’armée de Toulon. Ce choix d’un homme estimable à beaucoup d’égards ne pouvait être approuvé quant à la capacité : nous en écrivîmes avec franchise au Comité de salut public ; nous n’avions point d’autres reproches à faire à ces deux militaires, sinon qu’ils étaient au-dessous d’une mission comme celle dont il s’agissait.
Carteaux était sans doute ce qu’on appelle ordinairement un brave homme, quand on veut désigner un homme médiocre ; mais il n’avait aucune expérience de la guerre. Celui-là aussi avait une femme prétentieuse, qui voulait se mêler d’administration et même de la guerre. Suivant le dire de quelques militaires, et notamment du jeune capitaine d’artillerie, qui déjà, à la vérité, n’était pas fort disposé à dire ni à entendre dire du bien des autres, et qui, tout en faisant sa cour à Carteaux et à sa femme, s’en moquait sans cesse, c’était Mme Carteaux qui faisait les ordres du jour, et qui allait jusqu’à les signer, naïvement ou impudemment : Femme Carteaux. Doppet était un médecin très patriote, qui avait quitté sa profession pour celle d’avocat ; puis de la profession d’avocat il était passé à celle de militaire, et il était devenu général. Je ne veux pas conclure que ses antécédens fussent incompatibles avec le métier des armes, s’il en avait eu la vocation, qui est en tout le point de départ nécessaire. Pendant ma tournée au camp de Carteaux, mécontent de ce général, et n’obtenant de lui aucun renseignement satisfaisant, dans l’impatience où j’étais de connaître notre véritable position devant la ville insurgée, je m’occupai de visiter les avant-postes. Je m’y fis accompagner par le jeune officier d’artillerie, qui s’était mis à me suivre depuis