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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 129.djvu/125

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par M. le colonel Iung[1], laquelle va pouvoir invoquer comme argument nouveau le témoignage des Mémoires ? Voilà qui paraîtra sans doute de plus de conséquence que de savoir si vraiment Barras a fait délivrer au jeune capitaine un habit neuf pour remplacer l’habit percé aux coudes que le futur empereur portait alors. Oh ! cet habit percé aux coudes, cet habit héroïque, dédaigné par Barras ! Comment cet homme n’a-t-il pas compris que ce misérable habit du capitaine Bonaparte au siège de Toulon parlerait à nos cœurs plus éloquemment même que le splendide manteau du sacre ? Il a cru diminuer Napoléon en nous le montrant pauvre au début de sa carrière. Combien plus pauvre encore ce calcul d’une haine maladroite et mesquine ! Car, dans cet habit troué de 93 comme dans la redingote grise de 1814, le héros ne nous paraît que plus grand. Et voilà, si je ne me trompe, un simple détail qui nous annonce déjà dans quel esprit les Mémoires vont nous exposer le rôle de Bonaparte à Toulon[2].


I

L’amiral Hood et le général O’Hara, commissaires du roi d’Angleterre, déclarèrent, le 20 novembre, que leur gouvernement approuvait les engagemens contractés en son nom avec Toulon ; qu’une fois la monarchie rétablie en France, ses conquêtes seraient restituées après une juste indemnité de frais ; et au bout de trois jours ils annoncèrent que, l’établissement de la régence intéressant l’Europe, ils ne pouvaient souscrire au désir du comité, encore moins consentir à ce que M. le comte de Provence fût appelé pour y exercer les fonctions de régent. On reconnaît toujours les Anglais à leurs actes ambigus.

De son côté, Carteaux à Ollioules était renforcé par une partie des bataillons que j’avais fait stationner aux environs de Toulon. Les autres avaient rejoint le quartier général de Lapoype à la Valette. Les troupes détachées des armées d’Italie et des Pyrénées complétaient les forces chargées de réduire Toulon.

Dans la préoccupation où j’étais de tout ce qu’allait exiger une opération aussi considérable que celle de la reprise de Toulon, maintenant au pouvoir de forces étrangères, je crus qu’il fallait d’abord faire une sérieuse attention à la partie de nos côtes de la Provence, par laquelle les ennemis pouvaient faire de nouveaux débarquemens. J’avais besoin d’un officier capable de faire des reconnaissances et de placer des batteries. Un lieutenant intelligent suffisait pour cette opération. J’en chargeai l’un des plus jeunes, qui se présenta à moi : il remplit sa mission avec promptitude et ponctualité. Satisfait du rapport qu’il me

  1. Bonaparte et son temps, t. II, p. 394.
  2. Voyez dans la Revue du 15 mars 1894, l’Introduction aux Mémoires inédits de Barras.