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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 129.djvu/180

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assis devant ma porte, il initiait un public d’esclaves et de porteurs au contenu de la gazette : Ny Malagasy.

Puissant moyen de propagande française que cet organe de publicité indigène… Les débuts en furent timides. On se bornait à y reproduire des télégrammes et des chroniques d’Europe, à enregistrer sans commentaires les nouvelles de l’île… Mais les communications de l’agence Reuter, sauf les mésaventures du roi Béhanzin, laissaient indifférens les lecteurs nègres, et, pour répandre les nouvelles de l’intérieur, le courant rapide et mystérieux, qu’on nomme en Afrique la poste du désert, précédait généralement toute autre publication.

Brusquement, l’entreprise, d’abord hésitante, se prononça par un coup d’éclat… La feuille, transmise de main en main, descendit du plateau central, pénétra jusqu’aux tribus les plus lointaines de Sakalaves indépendans, de Bares et d’Antaimoures. Du cap d’Ambre au cap Sainte-Marie, des régions Antankares aux provinces Antandroys, ce fut comme une traînée de poudre… On avait osé traduire et imprimer la fable des Animaux malades de la Peste… Coutumier des locutions obliques, le Malgache voyait sous l’allégorie une allusion flagrante, une attaque directe aux agissemens du premier ministre… Évidemment cette fable n’avait pu être imaginée qu’à Madagascar et pour Madagascar.

L’histoire du meunier de Sans-Souci faillit coûter la vie à plusieurs personnes au moins ; les imprimeurs indigènes du journal durent quitter l’atelier sous les menaces d’un prince moins scrupuleux que le grand Frédéric…

Alors, autour du porte-voix, se produisit un véritable concours de gens désireux d’exhaler une plainte étouffée jusqu’alors, une rancune trop longtemps contenue. C’était un peuple entier qui prenait conscience de lui-même, hurlait sa souffrance, appelait au secours.

« Malgaches, nos compatriotes, disaient des correspondans anonymes, et vous tous chers habitans de Madagascar, nous écrivons ceci pour vous, nos parens, afin de vous faire connaître la situation de notre contrée, le pays des Cinq Mille de l’Ouest, car nous sommes tous issus d’une commune origine, quoique naturellement séparés par des montagnes, des rivières et divers plateaux…

« Au pays des Cinq Mille de l’Ouest, les gros poissons mangent les petits. Ils sont vraiment extraordinaires les moyens blâmables qu’emploient, pour se procurer de l’argent, Ratsimba, dixième honneur, gouverneur de Betafo, et ses collègues les officiers, les juges et les chefs de village…

« Nous n’écrivons pas ceci pour le premier ministre, car nous