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lui avons fait souvent entendre nos réclamations, mais toujours sans résultat. Les pétitions que nous lui avons adressées se sont accumulées. Quelques-unes, peut-être, ont été arrêtées en route, et ne sont pas parvenues jusqu’à la capitale ; cependant nombre de gens se sont plaints à Rainilaiarivony lui-même, soit en l’arrêtant, tandis qu’il passait au nord du palais, soit en pénétrant chez lui, à Tananarive ou dans ses propriétés...

« Ratsimba continue néanmoins de nous terroriser en déclarant qu’il jouit de la confiance de la reine et du premier ministre. Ils sont nombreux ceux dont il a injustement ordonné la mort : Ilaitsaramanana, Jaonarivelo, Rainibemarana, Rainibetokotany et tant d’autres ! Il impute à ses administrés des crimes imaginaires, accusant de bigamie les veufs remariés et de concubinage les gens dont l’union légitime est inscrite sur le registre du gouvernement. Les condamnés mis aux fers sont ruinés d’abord, relâchés ensuite. Les procès se trament dans le mystère et se règlent entre quatre murs, par des menaces violentes. Beaucoup d’habitans ont dû s’enfuir. Et voilà pourquoi les voyageurs rencontrent tant de brigands et de détrousseurs sur les routes des Cinq Mille de l’Ouest...

« Depuis quatre années qu’il gouverne Betafo, Ratsimba s’est enrichi. Il n’avait que six esclaves en arrivant de la capitale, il en a quatre-vingts maintenant, ses rizières couvrent de vastes étendues, et nous savons qu’il cache dans ses coffres plus de soixante-dix mille piastres. »

La traduction peut donner de ce factum une idée assez exacte, car ces rédacteurs improvisés ont tous subi l’influence de la pédagogie étrangère, et la langue malgache, écartée de ses formes primitives, envahie de néologismes, asservie aux adaptations et imitations, ne se retrouve là que sensiblement modifiée, allégée, abrégée. L’emploi journalier de cet idiome a créé autour des esprits une atmosphère ambiguë ; d’où la difficulté, pour les lecteurs du journal, de discerner les productions originales des pastiches, les auteurs noirs des rhéteurs européens.

En dépit de cet effacement du caractère national, un écrivain d’un génie purement indigène se révéla tout à coup... Plus de doute alors... La vieille éloquence des ancêtres éclatait, dans toute sa pureté, comme un diamant parmi les verroteries. Le style coloré paraissait, relevé de métaphores heureuses, spontanées, naturelles à l’artiste qui voit et qui sent... La composition même, l’ordre des argumens obstinément répétés et comme martelés, prouvaient une complète insouciance de notre logique... À la précision du détail, à la sûreté du trait, à la clarté de l’allusion, on reconnaissait un homme initié à tous les arcanes de la vie malgache.