le miroir tendu devant sa bouche, je recueillis son souffle suprême.
Le père demeurait interdit, debout derrière moi, observant mes gestes, déçu de mon impuissance. « Lui qui est vazaha, pensait-il, pourquoi ne sauve-t-il pas mon fils ? »
Et tandis que nous restions tous deux en silence devant le corps inerte et toujours plus froid, nous entendîmes un grand cri, un cri de bête blessée, et vîmes, dans une étoffe blanche sur laquelle flottaient de longs cheveux gris, une forme noire, sèche, hâve, qui se précipitait à travers la chambre et tombait comme une masse au pied du lit de mort… Les sanglots entrecoupaient des paroles incohérentes que je ne comprenais pas.
Je demandais à Jean : « Que dit-elle ? » Lui, levant les épaules d’un air résigné, répondit simplement : « Elle se lamente. »
Elle se lamentait, elle bégayait ces plaintes qui sont de toutes les langues et que nul ne saurait traduire :
— Boutou-kao, Boutou-kely[1] !
Vainement avait-elle cru le donner au vazaha, il lui tenait toujours aux entrailles, son Boutou-Kely.
Le père et la mère tinrent conseil :
— Je vais me rendre à Souanirane dès le petit jour, disait Euphrasie à son mari… Je préviendrai nos parens, nous balayerons la maison, tendrons le sol et les murs avec des nattes…Nous convierons les voisins, et tous seront prêts pour la corvée lorsque tu arriveras avec l’enfant…
Jean m’entraîna à l’écart ; suivant l’usage, il prit de longs détours pour aboutir à une demande de subsides.
— Nous porterons Boutou à l’église, puisque vous l’avez fait chrétien. On y chantera quelque cantique, et nous irons ensuite à la Maison des ancêtres… C’est très long, la cérémonie malgache. Tous les parens, tous les voisins viendront faire des discours, offrir à la famille en deuil quelques parcelles d’argent… On enveloppera le corps du lamba mortuaire, on ouvrira le tombeau, on déposera le petit paquet à l’intérieur, près des autres, sur une dalle de l’armoire de pierre, et il faudra enfin redresser la porte et la sceller au mortier… Nous ne serons pas de retour avant ce soir… Et les enterremens coûtent très cher ici, malgré les offrandes des amis. Il y a des familles qui s’endettent pour ensevelir dignement leurs morts… On ne tue pas de bœuf quand il ne s’agit que d’un enfant, surtout d’un enfant pauvre… Je crains cependant que mes beaux-parens manquent d’argent… Le lamba de soie brune vaut de sept à huit piastres, et il faut donner quelques pièces de monnaie aux autorités de la commune…
- ↑ Mon Boutou, petit Boutou !