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profondeurs de 1m, 40 à 2m, 20, au moment des plus basses mers, ce qui n’assure aux hautes mers moyennes que 7m, 90 à 7m, 95 pas tout à fait 8 mètres ; c’était plus que suffisant pour les nefs et les galères de la Renaissance. Les modernes transatlantiques sont plus exigeans, eux qui, pour bien faire, doivent enfoncer leurs quilles à 8 mètres au moins au-dessous du plan d’eau. Peut-être eût-il sufii d’approfondir, comme on l’a fait en ces derniers temps. C’eût été une solution provisoire, incomplète en tous cas, puisqu’elle n’aurait toujours pas donné l’accès du Havre à toute heure de marée. On aurait pu, à la rigueur, s’en contenter, pour quelque temps au moins, si l’existence de cette passe du Sud-Ouest, celle même de l’entrée du port, ne s’étaient trouvées tout à coup menacées. C’est de la Seine que venait le péril.

À la hauteur du méridien du Havre, et suivant une ligne qui irait de la Pointe du Hoc à Villerville, le fond de l’estuaire présente trois dépressions ou fosses séparées par les deux bancs d’Amfard et du Ratier. Ceux-ci ne découvrent jamais, mais la profondeur y est faible. C’est surtout par les vastes issues des fosses, vomitoires du liquide amphithéâtre, que la grande masse du flot de marée se précipite dans l’estuaire.

Ce phénomène de la marée offre dans l’estuaire de la Seine une particularité qui a des conséquences importantes. En réalité, il s’y produit deux hautes mers successives qui se superposent, pour ainsi dire, séparées par un court intervalle de temps. La première est produite par le courant que la saillie du cap d’Antifer détache de la grande ondulation qui, venue de l’Atlantique, remonte la Manche jusqu’au Pas de Calais. Après avoir doublé la Hève dont il menace continuellement la base, ce courant s’épanche dans la baie de Seine, laisse sur la plage de SainteAdresse quelques galets de silex, débris arrachés aux crayeuses falaises du pays de Caux, passe devant le Havre, dont il commence de ses eaux limpides à remplir l’avant-port, et pénétrant enfin dans l’estuaire, refoule devant lui les eaux du fleuve et fait sentir son action jusqu’au barrage de Martot à 24 kilomètres de Rouen. Il est bientôt rejoint par un autre courant de marée, venu avec lui de l’Atlantique, mais qui, divergeant à partir de la pointe de Barfleur, s’est attardé le long des côtes sablonneuses du Calvados. Une lutte s’établit : affaibli déjà et comme pressé d’obéir à l’inéluctable loi qui lui commande de se retirer, le courant du Nord cède le premier. Il se refuse à mêler plus longtemps ses ondes claires aux vagues bourbeuses qui arrivent de l’autre côté. Chassé par ce rival dont le contact le déshonore, il fuit, revient sur ses pas et, après avoir achevé de remplir précipitamment les bassins du Havre, il regagne en hâte la haute mer,