non sans gêner, par sa rapidité, les navires qui tentent de le croiser pour entrer au port.
Vainqueur un instant, le courant du Calvados doit bientôt, lui aussi, ralentir sa marche. Enfin, comme fatigué de l’effort, il s arrête, avant de revenir en arrière. Ce moment de calme qui sépare les deux oscillations de la marée, c’est l’étale. Les alluvions, dont le courant du Calvados est chargé> se déposent alors dans toute l’étendue du bassin.
Puis, changeant de nom comme de sens, de flot devenu jasant, la marée redescend, augmentée du débit du fleuve ; mais, comme si elle quittait avec regret ces rives verdoyantes et pittoresques, elle est à s’éloigner plus lente qu’elle n’était à venir. Moins rapide que le flot, par suite doué d’une moindre puissance de transport, le jusant n’entraînera plus les sables qu’apportait le courant du Calvados. Trop lourds pour ces ondes ralenties, il leur faut d’abord, pris, repris, triturés, usés dans les mouvemens tumultueux de plusieurs marées successives, se réduire en impalpable limon. Le jusant s’en charge alors, et, emportée au large, cette boue légère se décante peu à peu dans les calmes profondeurs de l’océan, sans modifier, par des dépôts prématurés, le relief des parties voisines du littoral.
L’estuaire de la Seine est ainsi le vaste atelier de broyage où le fabricateur souverain malaxe et prépare les matériaux dont il a résolu de faire les régulières assises des continens futurs.
Pourvoyeur fidèle, le flot du Calvados approvisionne l’atelier : inconscientes ouvrières de la grande œuvre de transformation du globe, les marées en leur jeu périodique broient et triturent ces grains de sable trop lourds d’abord : le jusant enlève enfin l’alluvion, par ce travail devenue légère, et la disperse loin de nos côtes.
Comme en une usine bien dirigée, l’équilibre existait entre ces opérations connexes : ce qu’apportait le flot du Calvados, l’atelier de broyage, après l’avoir préparé, le rendait au jusant ; et il n’apparaît pas, dans l’histoire de l’estuaire et de ses abords, que la besogne ait été mal répartie, que les matériaux soient arrivés en trop grande abondance, ni que, devant attendre, pour être enlevés, une plus complète trituration, ils se soient accumulés dans l’atelier, menaçant encore d’encombrer le voisinage.
L’œuvre séculaire et réglée de la nature se poursuivait. Mais l’homme survint.