31 mai 1846, au vote de laquelle les voix éloquentes de Lamartine et d’Arago prêtèrent un efficace appui, autorisait l’établissement entre Villequier et Quillebœuf de digues longitudinales, espacées de 300 mètres à leur point de départ. C’était rétrécir notablement la largeur du lit qui était alors de 1000 mètres environ à Villequier, de 3000 à Quillebœuf. Mais c’était aussi le seul moyen de réaliser les sagaces prévisions de Bouniceau et de ses habiles successeurs, Doyat et Beaulieu. — Ce ne fut cependant que deux ans après le vote de la loi, que les digues furent commencées à Belcinac, en face de Villequier. En 1851, elles atteignaient Quillebœuf. C’est une note favorable à la République de 1848, qu’entre les deux dates extrêmes de sa courte et précaire existence, un semblable travail ait pu se commencer et s’accomplir sans être interrompu.
L’effet de l’endiguement fut immédiat. Prévisions et espérances furent dépassées. Dociles à la contrainte que leur imposaient les constructeurs des digues, les eaux, réunissant leurs efforts dans l’étroit chenal ainsi délimité, en creusèrent le fond, entraînant les déblais vers la région inférieure du fleuve. Les travaux atteignaient à peine Quillebœuf que le mouillage offert à la navigation dans la partie endiguée était presque doublé. Ce premier succès était un encouragement à continuer. On n’attendit pas. Cinq décrets successifs conduisirent les digues jusqu’au delà de Berville, situé un peu au-dessous du confluent de la Bisle, à 17 kilomètres de la ligne où la Seine se confond définitivement avec la mer. Construites à pierres perdues, avec des blocs extraits des falaises crayeuses qui bordent la vallée, ces digues sont, en quelques endroits, élevées au-dessus du niveau des plus hautes marées : ailleurs, au contraire, elles ont été faites submersibles de façon à troubler le moins possible — c’est ce qu’on cherchait à éviter — le régime général des marées.
Le résultat définitif a répondu aux prévisions qu’après les premiers travaux il avait été permis d’établir. Le lit endigué s’est profondément creusé ; des dragages ont, en outre, abaissé certains seuils, tels que celui des Meules, dont la nature rocheuse et consistante résistait à l’érosion des eaux. La Seine maritime est aujourd’hui toujours accessible aux navires calant 5<exp>m</exp>, 50. Pendant 230 jours par an, elle peut recevoir ceux de 6<exp>m</exp>, 50, et ceux de 7 mètres pendant 120 jours. Entre Berville et la mer, dans l’estuaire non endigué, les chenaux creusés par les courans continuent, il est vrai, à divaguer ; on a cependant constaté, depuis l’établissement des digues en amont, une certaine tendance des chenaux navigables à la fixité, ou plutôt une plus grande lenteur à modifier leur forme, leur profondeur ou leur direction.