Tout au moins, une certaine régularité dans les modifications semble-t-elle avoir succédé aux brusques désordres d’autrefois.
Le pilotage de l’estuaire, heureusement, est exercé par une corporation à la hauteur des difficultés qu’elle a à surmonter. Surveillé en ses changemens au moyen de sondages pour ainsi dire continuels, le chenal est balisé avec un soin extrême. Des bouées lumineuses installées depuis deux ans environ, permettent d’y naviguer la nuit. Les progrès de la navigation ont suivi pas à pas ces améliorations. Rouen a vu, enfin, son port recevoir communément des navires de plusieurs milliers de tonnes ; son commerce s’est développé, ses relations se sont étendues, sa richesse s’augmente et se révèle par mille traits visibles. Aussi à Rouen, disait un député normand, tout le monde est-il partisan des digues. Le contraire eût étonné.
Cependant tout n’est pas dit sur les conséquences des digues quand on se réjouit de l’approfondissement du chenal qui a restauré la fortune commerciale de la capitale de la Normandie. Un autre effet s’est produit : en arrière des digues, dans les parties du lit désormais soustraites à l’action des courans. des alluvions considérables se sont rapidement formées. De fertiles prairies n’ont pas tardé à les recouvrir qui ont bien vite acquis une grande valeur. Aussi se plaît-on à opposer aux 18 millions de francs qu’a coûté l’endiguement les 34 millions qui représentent la valeur des 8305 hectares déjà conquis et des 2000 qui sont encore en voie de formation.
En réalité, qu’a-t-on t’ait en provoquant — sans le vouloir d’ailleurs et sans les avoir bien prévus — ces productifs atterrissemens ? On a retranché de l’estuaire primitif, œuvre de la libre nature, une capacité de 240 millions de mètres cubes. L’atelier de broyage a, de la sorte, vu restreindre son étendue et diminuer sa puissance. Il ne reçoit plus qu’une partie du courant du Calvados. Les matériaux qui lui arrivent encore par cette voie, mêlés à ceux que l’érosion enlève au plafond du chenal, ne sont plus aussi complètement travaillés. Moins finement pulvérisées, les particules vaseuses restent plus lourdes. Les courans, accrus en vitesse par le fait du rétrécissement, peuvent cependant les entraîner encore. Mais ils les déposent plus tôt, lorsque, rendus à la mer, ils s’y épanouissent perdant à la fois leur vitesse et la puissance de transport qui en résulte. À ces amas s’ajoutent les apports du dernier flot du Calvados, lequel n’ayant pu, connue autrefois, pénétrer dans l’estuaire rétréci, a dû continuer sa route le long de la plage sous-marine, avec une vitesse graduellement amortie. De là, la formation dans la baie de Seine de vastes bancs de sable qui en relèvent les fonds d’une manière