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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 129.djvu/232

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Et l’importunité des longues insomnies.
Cedant arma togæ! Les toges soient bénies,
Et gloire à l’orateur disertement loyal !
Je ne vieillirai point au service royal,
J’ignorerai les camps et leur fameux tumulte,
Et serai, si Dieu veut, un bon jurisconsulte. »

Et le jeune homme étouffe un soupir, mais Ronsard
Reprend : « N’enviez point mon sort, car le hasard
Qui, jeune, m’affligea d’une oreille un peu dure
Me fit quitter la tente et changer de monture.
Adieu, les fleurs de lys dans l’or clair des matins
Où chantent les tambours et les clairons hautains !
Adieu, la verte Écosse, et la Flandre, et l’Empire,
Et les ambassadeurs aux diètes de Spire,
Et Venise, ce-nid d’alcyons, ce printemps
De marbre qui fleurit au sein des flots chantans,
Et l’azur parfumé des ciels de Lombardie !
Depuis sept ans, je vis dans l’ombre et j’étudie...

— Le droit, peut-être? — Non. — Vous venez de Poitiers?
— J’en viens. — Et dites-moi, le velours des mortiers,
Ce beau velours plus noir qu’une aile de nuit sombre,
Ne vous séduisait pas? — Non, j’ai peur de son ombre
Et de son poids. — Parbleu, laissons les tribunaux,
Et vive le bonnet des rouges cardinaux!
— Ah! monsieur, dit Ronsard, la barrette est fragile!
— Que désirez-vous donc? — Le laurier de Virgile. »
Et Ronsard lui sourit, les yeux graves et doux.
Sa barbe entre ses doigts jetait des reflets roux;
Un rayon de soleil voltigeait sur sa tête...

Du Bellay s’écria : « Quoi! vous êtes poète !
Mais je le suis aussi, je crois l’être, je veux
Le devenir ! » Et tout l’invitant aux aveux,
Le poulet succulent que l’hôtesse découpe,
Le parfum des raisins, les rubis de sa coupe
Qu’enflamme la splendeur d’un dernier jour d’été,
L’auberge et son grand air de vieille honnêteté,
Tout, jusqu’au frais éclat de cette nappe blanche,
Son âme de jeune homme impatient s’épanche.
Quand naguère il vivait maladif, retiré,
Seul, dans l’isolement de son petit Liré.