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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 129.djvu/243

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doute, mais conformément aux mêmes procédés, dans les cahiers scolaires qu’il s’est donné la peine de feuilleter chez son hôte à Versailles, en 1870, il aurait été certainement scandalisé de sa partialité. À l’en croire, M. de Bismarck n’aurait pas cessé un moment, au cours de sa carrière, de songer aux intérêts de la Russie et de s’y dévouer. En 1878 surtout, pendant le congrès de Berlin, il a rendu à son alliée de la veille les plus inappréciables services, et il a été prodigieusement surpris de ne pas les voir mieux appréciés. « J’ai agi, dit-il, comme si j’avais été le quatrième plénipotentiaire russe… Bref, je me suis comporté de telle manière qu’après la clôture du congrès je me disais : — Si je ne possédais pas déjà depuis longtemps le plus haut des ordres russes en brillans, je devrais le recevoir aujourd’hui. » On n’en jugeait pas ainsi à Saint-Pétersbourg, et M. de Bismarck en exprime une vive douleur. Ses intentions étaient méconnues, calomniées. Que faire ? En homme pratique, il n’a pas mis longtemps à prendre son parti, c’est-à-dire à changer d’alliances, et tout son discours tend à plaider les circonstances atténuantes pour l’accord qu’il s’est trouvé obligé de faire avec l’Autriche et avec l’Italie. Il semble qu’il ne s’y soit résigné que contraint et forcé, et comme à un pis aller. Même retenu par ses engagemens nouveaux, il ne cesse pas de tourner vers la Russie des yeux attendris et de lui parler avec un accent qui n’est pas dénué d’espérance. Un retour est-il donc impossible ? La Russie met plus longtemps que M. de Bismarck à opérer ses volte-face politiques. Peut-être pour ce motif, elle reste ensuite plus longtemps fidèle à ses partis pris. Elle a fini pourtant par se rapprocher de la France et par donner à ce rapprochement un éclat qui en accentue et en souligne pour l’Europe la signification et la solidité. N’importe ! M. de Bismarck, dans sa retraite forcée de Friedrichsruhe, ne cesse pas de poursuivre son rêve de réconciliation. Il se souvient que c’est grâce à la Russie qu’il a pu accomplir ses plus grandes œuvres, et s’il l’a ensuite plus ou moins étonnée par son ingratitude, il ne néglige rien pour dissiper ce qu’il veut appeler un malentendu. Il vient de faire entendre ses novissima verba. Parmi tous ces discours, au ton un peu fatigué, il n’y a eu pourtant aucune banalité. L’appréhension du danger français a poussé M. de Bismarck à commettre envers nous des écarts d’assez mauvais goût, mais pour lui le goût n’a jamais rien eu de commun avec la politique. Parmi ses brèves et significatives allocutions, la plus curieuse peut-être est celle que le vieux chancelier a adressée aux Allemands d’Odessa. C’est en termes onctueux et caressans qu’il leur recommande de montrer toujours le plus absolu dévouement aux autorités impériales russes, et il parle de la Russie comme si elle était restée, malgré un égarement passager, l’amie de cœur, l’amie d’hier, l’amie de demain. Cette invite sera plus ou moins entendue à Saint-Pétersbourg, mais elle a été comprise à Berlin. Réconcilié, au moins en apparence, avec