l’homme d’État qui a su évoquer les aspirations confuses de l’Allemagne vers l’unité pour en faire une réalité puissante, l’empereur Guillaume a recueilli les restes de cette voix qui tombe, et il a été sans doute d’autant plus frappé des conseils qu’elle donnait qu’ils correspondaient davantage à sa propre pensée. Malgré tout, l’Allemagne ne renonce pas à se tourner du côté de Saint-Pétersbourg, avec l’espoir obstiné qu’un jour ou l’autre la Russie se retournera vers elle. Et puisqu’il est difficile d’admettre que la politique de l’empereur Guillaume ait été dictée par les intérêts allemands en Extrême-Orient, il faut bien chercher ailleurs, c’est-à-dire en Europe même, la cause d’une orientation aussi ferme et aussi décidée.
Nous, France, nous n’avons pas eu besoin de regarder du côté de Berlin pour prendre notre parti. Quels que soient nos sentimens pour le Japon, nous avons peu de chose à attendre actuellement de lui, soit en bien, soit en mal : il y avait déjà de ce chef une raison suffisante pour déterminer notre politique. Nous en avons eu d’autres, que nous n’avons aucun motif de déguiser ou d’atténuer. La préoccupation de nos amitiés européennes devait naturellement exercer son influence en Extrême-Orient. Quelques personnes s’en sont étonnées, et même un peu alarmées : il y aurait eu de bien meilleurs motifs d’éprouver et d’exprimer de l’inquiétude si notre gouvernement avait pris une autre attitude, ou s’il avait montré quelque hésitation à adopter celle-là. C’est pour le coup que les reproches contre lui et les accusations auraient eu un caractère à la fois véhément et légitime ! On aurait montré l’empereur Guillaume prenant à côté de la Russie la place désertée par nous. L’Allemagne, qui affiche tant de zèle, en aurait déployé plus encore. Il suffit de considérer l’ordre chronologique des faits pour reconnaître que ce n’est pas son attitude qui a influé sur la nôtre : c’est bien plutôt la nôtre qui a influé sur la sienne. Mais il vaut mieux, à coup sûr, soit pour la Russie, soit pour nous, que l’Allemagne ait dû essayer de nous dépasser, ne pouvant pas espérer nous remplacer. La question qui s’est posée est, d’ailleurs, plus générale et plus haute : il s’est agi de savoir si, ayant choisi une politique, nous saurions nous y tenir. C’est à cette épreuve que l’on juge les gouvernemens et les peuples. Nous avons adopté, depuis Cronstadt, une politique d’union intime avec la Russie. La nation tout entière l’a approuvée ; bien plus, elle s’y est jetée avec enthousiasme, et elle a eu raison. Dès lors, il ne restait à son gouvernement qu’à la mettre en œuvre. Ce que nous devons lui demander, c’est de l’habileté, de la mesure, du doigté, dans l’application de cette politique : rien jusqu’ici ne permet de croire qu’il en ait manqué. Quant au système en lui-même, il ne faut le changer que lorsqu’on ne peut décidément plus faire autrement : c’est ce qui est arrivé à M. de Bismarck après le congrès de Berlin, et on vient de voir tous les efforts qu’il a tentés alors et depuis pour ramener la vieille alliée dans le giron