tendent, presque partout, à se « démocratiser ». — « Il nous faut, me disait un patron de Reims, déposer le sceptre patronal : il faut que nos œuvres patronales se transforment peu à peu en associations ouvrières. » Encore une royauté qui s’en va! C’est toute une révolution qui s’accomplit, sous nos yeux trop souvent distraits. Caisses de secours, caisses de retraite, caisses d’épargne, économats, toutes les institutions fondées par les patrons pour leurs ouvriers tendent à sortir des mains des patrons pour tomber aux mains des ouvriers. Les chefs d’industrie sont contraints d’abdiquer, ou, s’ils gardent encore l’initiative, ils ne peuvent plus longtemps conserver la direction. Le rôle du patron n’est peut-être pas diminué, mais il a changé : au lieu de traiter ses ouvriers en enfans, en mineurs incapables ou en pupilles éternels, il doit travailler à leur éducation, les habituer à se passer de lui, les dresser à se conduire eux-mêmes. C’est là encore, — est-ce la peine de le constater? — une noble mission; et c’est là, — faut-il le remarquer? — une tâche à laquelle une compagnie se résigne encore plus aisément qu’un patron individuel.
Si les défiances du travail envers le capital devaient tomber, avec cette sorte d’émancipation des institutions ouvrières, nous ne serions pas, quant à nous, de ceux qui s’affligent de cette démocratique évolution. Car, en faisant leurs propres affaires, en administrant leurs propres caisses, en gérant leurs sociétés, les ouvriers peuvent apprendre ce qui leur fait le plus défaut : la prévoyance, l’économie, l’épargne. Au lieu de tout attendre de l’Etat et de tout demander à des révolutions, ils se formeraient à la pratique du self-help, ce qui serait, pour les classes ouvrières, la voie la plus sûre de relèvement matériel et de relèvement moral.
Mais, il faut bien le reconnaître, la question est plus vaste. Elle ne touche pas, uniquement, les œuvres patronales et les formes anciennes du patronage. L’ambition de l’ouvrier dépasse déjà le cadre, si vaste pourtant, des institutions ouvrières. Non content d’administrer lui-même ses propres caisses, non content de gérer librement ses propres affaires, il réclame, déjà, une part de la gestion de l’usine; il aspire à être associé à la police, si ce n’est encore à la direction de la manufacture. Là aussi, jusque dans l’intérieur des ateliers, il prétend établir les relations du travail et du capital sur un pied nouveau. Et quelque téméraires ou quelque prématurées que puissent nous sembler de pareilles revendications, il nous siérait mal de les ignorer, car nous pouvons, malgré nous, avoir bientôt à compter avec elles.
Ces relations nouvelles entre les deux facteurs de la production, quel en pourra être le caractère, et quelle définition en donner? Une, fort simple en théorie, si elle prête à bien des complications