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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 129.djvu/398

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grandes difficultés, à la Mecque. Son arrivée dans la ville a failli occasionner une révolte parmi les pèlerins et les Bédouins. Les récits les plus fantastiques circulaient. On disait que l’étuve, étant placée sur un point très resserré de la route de Mouna à la Mecque, tous les pèlerins à leur retour des fêtes seraient contraints d’entrer nus dans l’étuve (110°) pour s’y désinfecter avant de pouvoir revenir à la Mecque. Cette histoire avait rencontré un tel crédit que, dans un grand nombre de familles de Djeddah on s’est abstenu en 1894 de conduire les femmes à la fête, dans la crainte qu’elles ne fussent exposées sans voile aux regards du public lorsqu’elles passeraient dans l’étuve. Aussi l’administration, pour calmer la population, a-t-elle simplement remisé l’étuve, sans même l’enlever du chariot dans lequel elle avait été transportée. Les Bédouins survenant alors l’ont à moitié démolie et reléguée dans une anfractuosité de la montagne en criant bien fort qu’ils massacreraient les Turcs eux-mêmes s’ils osaient s’en servir. « Oserait-on soupçonner le linge de leurs épouses et de leurs filles? » Le grand-chérif s’excusa très diplomatiquement auprès du pacha sanitaire, et tout fut dit. Le chérif, au surplus, est bien plus occupé de recueillir ses droits et de faire écorcher les victimes du sacrifice que de les faire enfouir convenablement. Les peaux lui rapportent annuellement quelques centaines de mille francs. C’était plus qu’il n’en fallait pour faire taire ceux qui voudraient parler d’hygiène. Cependant cette année les animaux ont été enfouis immédiatement après les sacrifices, sans avoir été dépecés. Cette mesure a donné d’excellens résultats.

Les Bédouins ont commis en 1894 leurs exploits ordinaires contre les pèlerins. Il y a eu même des coups de feu échangés entre Médine et la Mecque avec l’escorte égyptienne du Tapis. Cependant le nouveau vali, arrivé cet été à la Mecque, semble, au moins jusqu’ici, avoir à cœur de faire disparaître une partie des abus sur lesquels plusieurs de ses prédécesseurs fermaient les yeux lorsqu’ils n’en tiraient pas personnellement profit; il aurait notamment fait publier que la location des chameaux était libre, et que le pèlerin n’aurait rien à payer en sus du prix qu’il débattait directement avec les chameliers.

En mai 1894, la mortalité avait continué à être assez forte parmi les pèlerins qui séjournent dans la ville sainte ; après l’avoir attribuée tout d’abord à la dengue, on a reconnu qu’elle était due à des affections intestinales ; les médecins présens à la Mecque en ont recherché la cause et ont cru la trouver dans la contamination de l’eau que boivent les pèlerins. L’eau incriminée n’était autre que l’eau sainte, objet du culte des pèlerins, celle de