changement de décor. Il est pour faire fortune des méthodes qui valent dans tous les temps. Il y a bien des façons d’être laquais, sans porter la livrée. Les Mémoires de Gourville restent une bonne école et qu’on peut encore recommander.
Jean Hérauld était fils de petits bourgeois de province. Il aurait pu, comme ceux de sa condition et pour son malheur, entrer dans quelque office honorable et obscur. Sa bonne étoile le conduisit chez l’abbé de La Rochefoucauld pour y être valet de chambre. A quelque temps de là, Marcillac, le futur auteur des Maximes, souhaita de l’emmener à l’armée en qualité de maître d’hôtel. Cela méritait réflexion. Outre que Gourville, d’instinct peu militaire, ne se soucia jamais d’attraper de ces mauvais coups qui font mal, il était d’une famille de santé délicate; on craignait qu’il ne fût attaqué du poumon. « L’envie que je me sentis de parvenir à quelque chose me fit partir. » C’est cela même. Pour qui veut parvenir, la première condition est d’en avoir une forte envie. La seconde est de ne pas être trop scrupuleux sur les moyens. Au moins n’a-t-on pas à reprocher à Gourville d’excès de ce genre. On verra quels procédés il allait employer pour le service de son maître et pour le sien propre : ce sont précisément ceux des voleurs de grand chemin.
Voici quelques spécimens qui nous renseignent amplement sur le savoir-faire de ce fidèle serviteur. Gourville se trouve en Angoumois, fort en peine d’argent pour certaine expédition dont MM. les Princes l’ont chargé. Le hasard, qui n’est qu’un autre nom de la Providence, lui apprend que le sieur Mathière lève la taille de ces côtés-là. Il est de ces occasions qu’on n’a pas le droit de négliger. Gourville fait suivre son collecteur d’impôts, lui ayant au préalable donné le temps de recueillir une honnête recette ; il cerne le cabaret où Mathière fait ses comptes, entre dans la salle le pistolet au poing, et rafle l’argent. Au surplus, et pour la régularité (de l’opération, il laisse à sa victime une quittance en bonne forme. Le bon billet! dites-vous. Voici le piquant de l’affaire : le billet fut payé. Mathière rentra dans ses déboursés. Il fit par la suite avec Gourville d’autres « affaires ». Cette première rencontre n’avait été qu’une façon un peu vive d’entrer en relations.— Il est bon de savoir à quoi servit l’argent des contribuables d’Angoulême. Il ne s’agissait de rien de moins que j d’enlever le coadjuteur. Retz allait tous les soirs à l’hôtel de Chevreuse, rue Saint-Thomas-du-Louvre; son carrosse longeait le quai. Gourville cache ses hommes « dans un endroit où l’on descend sur le bord de la rivière et où quelquefois on décharge des foins et autres choses. Ceux-là étaient destinés, deux pour se saisir des laquais qui portaient des flambeaux et les éteindre, deux pour arrêter les chevaux du carrosse, deux pour monter sur le siège du cocher pour le tenir, et les autres pour empêcher les laquais de descendre de derrière le carrosse pour donner avis de ce qui se passerait. Moi, je devais me présenter à la portière avec un bâton