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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 129.djvu/466

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d’exempt, deux hommes à mes côtés, deux à l’autre portière avec des armes, et j’aurais dit que j’arrêtais M. le coadjuteur de la part du Roi. » Tout était préparé, jusqu’aux bottes pour faire monter le coadjuteur à cheval, et jusqu’à un bon coussinet avec une sangle fort large pour l’homme qui devait monter en croupe. Hélas! les plans les plus ingénieusement combinés ne sont pas toujours ceux qui réussissent le mieux. La fortune se joue de notre sagesse. Ce soir-là le carrosse du coadjuteur prit un autre chemin. C’était un coup manqué. — Les Princes n’en voulurent pas à Gourville; en vérité il n’y avait pas de sa faute. Mais il était moins indulgent pour lui-même. Son échec lui avait été douloureux. D’ailleurs il était de loisir. De retour à Damvillers, il s’y trouvait « fort désoccupé ». Ajoutez que cela le fâchait de ne pas utiliser le zèle tout prêt de braves gens, choisis avec soin et dont le dévouement lui était connu. Il était dans ces dispositions quand il se souvint, fort à propos, d’une « petite rancune » qu’il avait contre Burin, directeur des postes, « homme fort riche et surtout en argent comptant. » Les estafiers qui avaient manqué Retz eurent à cœur de faire de bonne besogne. Ils réussirent si bien qu’ils amenèrent Burin à Damvillers, où il arriva extrêmement fatigué et désolé. Gourville n’est pas un méchant homme. Il se sentit tout remué par le chagrin de son prisonnier. « Je fis ce que je pus pour lui être de quelque consolation... » L’un des moyens qu’il employa pour le « consoler », ce fut de lui extorquer quarante mille livres de rançon. — Tels sont les premiers coups par où débuta Gourville sur la scène du monde. Il n’y manque ni de hardiesse ni d’esprit. Ce maître d’hôtel fait avec bonne humeur l’industrie d’un « bravo ». C’est Saltabadil doublé de Scapin.

Peut-être Gourville s’est-il attardé avec quelque surcroît de complaisance au récit de ces peccadilles et de ces tours de bonne guerre. C’est le seul endroit de ses Mémoires où l’on puisse, à certaines réflexions, démêler une nuance de mélancolie. Il songe que de ses compagnons d’alors aucun n’est plus là pour se souvenir avec lui. « Les vieux qui ont vu l’état où étaient les choses dans le royaume ne sont plus, et les jeunes, ne les ayant connues que sur le point que le Roi a rétabli son autorité, croiraient que ce sont des rêveries. » Ainsi va le cœur de l’homme. Les prospérités que l’âge nous apporte n’ont pas pour nous la douceur des espiègleries de jadis. C’était le temps de la jeunesse. C’était le bon temps !

Les exploits de Gourville avaient fixé sur lui l’attention du gouvernement. Les gouvernemens ont de tout temps recherché la collaboration des hommes habiles. Mazarin savait discerner le mérite. La première fois qu’il vit le domestique de La Rochefoucauld, venu pour traiter de l’amnistie de son maître, il l’engagea à passer à son service. Pour l’y déterminer, il ne se perdit pas en considérations et se contenta de lui dire « que c’était là le vrai chemin de la fortune.» Il n’est