Cette harmonie ne devait pas se perpétuer jusqu’au terme de la mission de notre envoyé. Il était à la veille de rentrer en France quand un de nos nationaux fut mis sous le bâton par un gouverneur de province. Pareil outrage n’avait jamais été fait à la colonie française, et les étrangers de toute nationalité se montraient eux-mêmes d’autant plus offensés que ce mode de traitement, s’il devait passer dans les habitudes des fonctionnaires égyptiens, les aurait assimilés aux Arabes. A vrai dire, les indigènes s’en accommodaient depuis longtemps, et on en retrouve l’emploi aussi loin qu’on remonte dans l’histoire du pays, ils ont conservé la tradition de n’acquitter les taxes de toute sorte qu’après une correction de cette nature, c’est leur façon de protester contre l’autorité qui, disent-ils, les dépouille. Dans un voyage que je fis sur le Nil, j’accostai à un domaine de Soliman-Pacha (le colonel Sèves) pour lui rendre mes devoirs. Il me’ retint à dîner. Pendant le repas, mon attention fut attirée par un bruit intermittent de coups répétés, venant de la grève, et suivis de quelques cris. J’en demandai l’explication à mon hôte. « On lève l’impôt, » me répondit-il. J’ignore si cet expédient est resté en usage depuis l’oc-occupation anglaise. Nos voisins qui se sont cantonnés en Égypte et y demeurent sous le prétexte d’y reconstituer l’ordre et la sécurité, si solidement établis sous Mehemet-Ali, ne semblent pas pressés d’arriver au terme de leur tâche, et peut-être considèrent-ils comme un bon moyen d’administration l’emploi du bâton.
Quoi qu’il en soit, M. de La Valette n’hésita pas à ajourner son départ, à demander au pacha des réparations suffisantes, et en premier lieu le châtiment du gouverneur coupable de ce méfait. Mehemet-Ali, de son côté, se montra disposé à nous donner une entière et éclatante satisfaction, désireux d’effacer, en toute hâte, ce regrettable incident. Mais le gouverneur était allié à sa famille, et il lui répugnait de prendre, contre son parent, une mesure de rigueur constituant un désaveu public et, en quelque sorte, une flétrissure. Cependant le gouverneur avait ordonné lui-même le traitement infligé à notre compatriote ; il y avait présidé en y faisant procéder sous ses yeux. Il n’était pas permis à M. de La Valette de ne pas l’atteindre ou bien tous les hauts fonctionnaires se seraient imaginé qu’ils pouvaient impunément se livrer, contre les Européens, à des actes de violence. La colonie étrangère attendait, de la fermeté de notre représentant, un gage éclatant, la mettant à l’abri de pareilles aventures. Il dut donc insister, bien que le pacha lui offrît, avec d’autres concessions, de rémunérer largement la victime de l’attentat. Sur les sollicitations que le vice-roi faisait parvenir par les voies les plus diverses à notre