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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 129.djvu/589

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retranchemens, Cobenzl fit cette déclaration : « L’empereur ne s’opposera pas à la cession de toute la rive gauche du Rhin, s’il obtient Venise, les Légations et la ligne du Mincio, » c’est-à-dire Mantoue. Bonaparte invoqua ses instructions et refusa. Alors Cobenzl consentit à laisser subsister la ville de Venise à condition qu’elle ne serait pas réunie à la Cisalpine. Il renonça aux Légations, mais réclama la Terre ferme jusqu’à la ligne du Pô, et, en Allemagne, Salzbourg, avec la Bavière jusqu’à l’Inn. Bonaparte fit observer qu’enserrée de toutes parts dans les possessions autrichiennes, la ville de Venise tomberait infailliblement dans les mains de l’empereur ; il offrit aux Autrichiens la ligne du Mincio, s’ils consentaient à la cession de toute la rive gauche du Rhin. Cobenzl repoussa la proposition. Ils convinrent enfin de se limiter, Bonaparte à une ligne qui laisserait, sur la rive gauche du Rhin, Cologne et les États prussiens en dehors de la frontière française et assurerait à la France le Palatinat, le pays de Trêves, Mayence Aix-la-Chapelle et Coblentz ; en Italie, l’Autriche aurait Venise et la Terre ferme jusqu’au Pô et à l’Adige : le reste de la Terre ferme serait réuni à la Cisalpine. Il fut arrêté que les Autrichiens en référeraient à Vienne et que Bonaparte, en attendant la réponse, renoncerait à son voyage à Venise.

Rentré à Passeriano, il trouva la dépêche du Directoire du 29 septembre, plus comminatoire encore que les précédentes. Alors, dans une longue lettre adressée à Talleyrand, il résuma les raisons qu’il avait de traiter. Plaidant, en quelque sorte, contre lui-même, et oubliant qu’il avait écrit, le 19 septembre, que Venise était la ville d’Italie la plus digne de la liberté, il montre les Vénitiens incapables de s’organiser et de se défendre ; les Italiens incapables de les aider, impuissans à se soutenir eux-mêmes : « Vous connaissez peu ces peuples-ci. Ils ne méritent pas que l’on fasse tuer 40 000 Français pour eux. Je vois par vos lettres que vous partez toujours d’une fausse hypothèse : vous vous imaginez que la liberté fait faire de grandes choses à un peuple mou, superstitieux, pantalon et lâche… Je n’ai pas à mon armée un seul Italien, hormis, je crois, 1 500 polissons, ramassés dans les rues, qui pillent et ne sont bons à rien… Un peu d’adresse, de dextérité, l’ascendant que j’ai pris, des exemples sévères donnent seuls à ces peuples un grand respect pour la nation et un intérêt, quoique extrêmement faible, pour la cause que nous défendons. » Les désastres de 1799, l’évacuation de l’Italie, au milieu des assassinats et des massacres ; le découragement des partisans de la France, qui étaient une minorité, la révolte des ennemis de la France qui étaient la masse populaire, justifièrent trop cruellement ces prévisions.