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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 129.djvu/590

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Cobenzl avait demandé huit jours pour recevoir ses instructions ; ce ne furent pas huit jours de repos pour lui. Bonaparte ne cessa de le harceler de toute façon, tant pour arracher, en détail, des concessions nouvelles, que pour obtenir la signature préalable d’un protocole qui fixât, au moins dans leurs ligues générales, les conditions de la paix. Son unique argument, mais très sincère de sa part, était qu’il avait dépassé les instructions du Directoire et que, du jour au lendemain, il pouvait recevoir de Paris des ordres absolus qui l’obligeraient à garantir la nouvelle république de Venise. Tout serait remis en question. Mais Cobenzl ne le croyait pas ; il attribuait la hâte de Bonaparte à la crainte de voir l’Autriche renouer avec l’Angleterre, et il partait de là pour différer la signature, refuser tout engagement écrit et réclamer, de son côté, des avantages supplémentaires. Il s’ensuivit le 9 octobre une conversation des plus orageuses[1]. C’était à Cobenzl de se rendre à Passeriano. A peine fut-il arrivé, que Bonaparte l’emmena dans le jardin. Il le pressa de signer, ajoutant que, le traité fait, il le porterait immédiatement à Paris. « Sa présence seule, dit-il, avec le crédit dont il jouissait, pouvait faire excuser une telle désobéissance aux ordres du gouvernement. » Mais, pour compenser l’avantage qu’aurait l’Autriche à tenir son traité et les risques que courrait Bonaparte en livrant Venise, Cobenzl devrait se contenter de la ligne de l’Adige, ou, s’il exigeait toujours la ligne du Mincio, consentir à la cession de toute la rive gauche du Rhin ; il devait au moins reconnaître la « République cisrhénane », que Hoche essayait alors de fonder, à l’imitation de la Cisalpine. « Je rejetai avec indignation ces infâmes propositions, rapporte Cobenzl, et nous nous séparâmes en répétant réciproquement qu’il n’y avait que la guerre qui pût décider. » Cependant, après le dîner, le débat recommença. Bonaparte représenta les dangers de la guerre : Cobenzl n’en parut pas ému. Bonaparte déclara que le retard des Autrichiens jetterait le Directoire dans les bras de la Prusse ; Cobenzl répliqua que, par contre-coup, la Russie tomberait dans les bras de l’Autriche : la partie demeurerait égale. Cependant tous ces assauts l’avaient ébranlé. Il réfléchit que Bonaparte disait peut-être la vérité ; qu’il serait prudent de le prendre au mot ; qu’on n’avait plus rien à gagner avec lui et qu’en mettant les choses au pire, l’empereur pourrait toujours refuser les ratifications. Il consentit à une réunion officielle pour préparer la rédaction des articles.

Ceux qui concernaient le Rhin et les indemnités de l’Autriche passèrent tant bien que mal. Cobenzl ne voulut pas stipuler, sans

  1. Cobenzl à Thugut, 10 octobre 1791 ; Hüffer, p. 400.