nous en tenir à M. Burne-Jones, quel est l’artiste le plus réaliste qui, ayant seulement entrevu l’Amour dans les ruines, n’en conserve, malgré toutes ses protestations, un souvenir inell’açable, mélancolique, poignant ? Tonalités de convention ! Mais où n’y a-t-il pas de conventions ? Peinture désaccordée ! Est-ce que Mantegna, Ghirlandajo, Raphaël, ne sont jamais désaccordés ? Ils restent cependant Mantegna, Ghirlandajo, Raphaël, les plus grands des artistes, parce que s’ils n’ont pas, ces jours-là, l’harmonie totale, ils gardent toujours leur intensité, leur sincérité, leur grâce incomparables dans l’expression par les formes. M. Burne-Jones, sans doute, n’est pas un coloriste coulant et fondu à la mode du jour, mais c’est un dessinateur convaincu, ferme dans l’accent général, délicat et tendre dans le modelé intérieur ; cela lui suffit bien pour donner à ses visions des apparences de vie saisissantes et durables. Toute sa valeur d’artiste compréhensif, délicat, ému, n’éclate-t-elle pas d’ailleurs dans l’admirable Portrait de jeune femme qui accompagne l’Amour dans les ruines ?
Si, pourtant, on veut de la peinture savoureuse, chaude, grasse, c’est précisément ce qu’une partie de la jeune école anglaise, lorsqu’elle se débarrasse des formules du Préraphaélitisme, comme celui-ci s’était délivré des formules de l’Académie (ainsi va et vient, éternellement, le cours des choses) s’escrime à nous vouloir donner. Aux Champs-Elysées, comme au Champ-de-Mars, on peut déjà voir nombre de tableaux, ou plutôt d’esquisses, dans lesquels le souci et la recherche de la tache fortement colorée prétendent tenir lieu de tout. M. Brangwyn est le type de ces plaqueurs violens d’accords hardis. C’est l’orgie de gin, après une retraite de tempérance, un accès de romantisme passionné à la suite d’une convalescence mystique, le retour, en somme, à la vieille tradition nationale des Reynolds, des Crome, des Gainsborough, des Constable. Les Écossais, sur ce point-là, n’y vont pas de main morte, portraitistes ou paysagistes. Les Anglais de Londres restent, en général, plus modérés, et quelques-uns, comme M. Davis, font encore des paysages excellens en y apportant cet extrême souci du détail exact qui fut longtemps le caractère de l’école. Quels qu’ils soient, remercions-les tous de venir nous apporter les preuves de leur activité ; nous pouvons profiter de leurs exemples comme ils peuvent profiter des nôtres.
GEORGE LAFENESTRE.