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comme le reflet sur l’âme ; au lieu du spectacle matériel, c’est l’émotion intérieure. Intérieur aussi, et invisible, sera le dénouement : Élisabeth n’expire pas sous nos yeux. De plus, il sera surnaturel. Que Max le franc-tireur épouse la blonde Agathe, et Robert de Normandie la princesse de Sicile ; Tannhæuser ne peut que mourir auprès d’Élisabeth morte, pour revivre avec elle éternellement. Pacem summa tenent. Toute fin chez Wagner est haute ; aucune plus que celle-ci n’est apaisée. La fin de Lohengrin même est pour ainsi dire moins finale ; elle a quelque chose d’incertain et de suspendu. Lohengrin s’achève sur un cri d’Elsa demeuré sans réponse, sur un appel, hélas ! qui ne peut et ne doit pas être entendu. L’ordre du bien est renversé dans Lohengrin ; dans Tannhæuser il est rétabli. On emporte de Lohengrin la tristesse de l’irréparable mal ; Tannhæuser, au contraire, laisse en nous la joie et la paix divine du mal à jamais réparé.

Je ne crois pas que nulle part en Allemagne (Bayreuth naturellement et comme toujours excepté) Tannhæuser soit mieux interprété et représenté qu’à l’Opéra. L’orchestre d’abord a fait merveille. Il a joué l’ouverture notamment avec une parfaite intelligence du plan général, des proportions et des valeurs relatives de mouvement ou de sonorité.

Mme Caron nous a paru le plus remarquable peut-être là où elle a été le moins remarquée : dans le duo du second acte, avec Tannhæuser. Dans la scène muette du troisième acte, on eût souhaité seulement un peu plus d’abandon, d’humanité et de faiblesse, et pour montrer le ciel, un geste aussi noble, mais plus attendri. Quant à l’ensemble du rôle, Mme Caron y apporte un parti pris très intéressant, et très conforme à l’esprit du personnage, de douceur et d’uniformité.

M. Van Dyck a eu deux ou trois beaux mouvemens. Mais quelle fâcheuse méthode de chant est décidément la sienne ! Il hache les sons et les heurte au lieu de les lier. Il est inégal et brusque ; autant il articule les paroles, autant il désarticule la musique, et tout cela est le propre du style allemand et wagnérien.

M. Renaud chante tout autrement : l’archet à la corde, sans jamais écraser la note, sans l’étaler non plus, ni la traîner. Il a été dans le rôle de Wolfram tout ce qu’il y faut être : discret, cordial et pieux, et de cette délicieuse figure il a fait quelque chose de plus délicieux encore.

Camille Bellaigue.