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elle ne peut plus rien nous donner. Elle nous a permis de pourvoir, en 1893, à 66 millions d’augmentations de dépenses nouvelles, à 63 millions en 1894, à 50 millions en 1895 : aujourd’hui Moïse lui-même, encore bien que sémite, frapperait en vain le rocher mis à sec. Il faut chercher ailleurs d’autres ressources, et c’est la déclaration que M. Ribot a faite avec une franchise dont on ne lui a pas su assez de gré.

On ne lui en a même su aucun. Autrefois, on multipliait généreusement les dépenses sans y regarder de très près, et sans mettre en regard aucune recette correspondante. Les ministres et les rapporteurs du budget ne manquaient pas de faire remarquer aux Chambres combien ce procédé était dangereux et condamnable ; ils protestaient avec chaleur ; ils faisaient les plus louables efforts pour empêcher le mal de se renouveler lorsqu’ils n’avaient pas réussi à l’enrayer dès le premier jour ; et ces efforts étaient vains, cette énergie s’évaporait en pure perte, parce que, après avoir prodigué les déclarations les plus pessimistes et les plus inquiétantes, le gouvernement trouvait toujours, au dernier moment, des ressources auxquelles il avait eu l’air de ne pas songer jusqu’alors et qui venaient très exactement combler le déficit. Ce n’était déjà plus la période des vaches naturellement grasses, mais il en restait quelques-unes qui avaient été artificiellement engraissées et qui conservaient de beaux restes. Aujourd’hui, nous entrons bien décidément dans la période des vaches maigres, et le gouvernement a dû chercher de nouveaux moyens d’obvier à des insuffisances sur lesquelles il ne pouvait plus conserver et ne voulait entretenir aucune illusion. Mais comment faire ? Les économies ont été déjà poussées très loin ; on ne-peut guère en opérer davantage sans porter atteinte au fonctionnement des services publics. D’autre part, en calculant les recettes d’après la règle classique de l’antépénultième année, on arrive à un chiffre inférieur de 32 millions de francs à celui des recettes antérieures. C’est donc 32 millions à trouver tout d’abord. Et ce n’est pas tout. Les discussions qui ont eu lieu récemment sur l’état de nos effectifs militaires ont fait admettre par tout le monde la nécessité de porter notre effectif de paix à 540 000 hommes : d’où il résulte une dépense de plus de 10 millions, qui s’élève à 12 si on y ajoute les dépenses non moins indispensables pour la marine. On voudrait s’en tenir là ; le gouvernement aurait été heureux de pouvoir le faire. Mais il lui manque encore une douzaine de millions pour faire équilibre à des dépenses nouvelles, nouvelles du moins en apparence, car elles sont en réalité un legs du passé. Nous touchons ici à l’un des vices les plus fâcheux de nos institutions parlementaires, vice qui n’est pas inhérent à ces institutions elles-mêmes, mais à la manière dont elles sont pratiquées : c’est celui qui consiste à voter toujours des lois coûteuses sans se mettre en peine de procurer au budget des ressources en quantité égale. Le plus sou-