Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 129.djvu/907

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

détermination du rapport des chaleurs spécifiques. La vitesse du son, calculée par la formule de La place, se trouva égale à 337m,715 par seconde ; la vitesse observée à 340m,889. Les erreurs que l’on ne peut éviter dans un ensemble d’expériences aussi complexes suffisaient largement à expliquer le léger écart de 3m,174 qui subsistait entre ces deux valeurs.

Cette concordance numérique presque parfaite, en résolvant un problème qui avait longtemps embarrassé les physiciens, apportait une précieuse confirmation à la théorie de Laplace. Cette théorie, d’ailleurs, venait prendre place dans l’harmonieux ensemble que formaient, au commencement de ce siècle, les diverses branches de la physique mathématique ; elle ramenait l’étude de la chaleur à l’analyse de forces attractives et répulsives semblables à celles qui rendaient compte non seulement du mouvement des astres, mais encore des effets de l’optique, de l’électricité, du magnétisme, de l’élasticité, de la capillarité ; le nombre et l’étendue des lois qu’embrassait cette vaste synthèse, la netteté des hypothèses sur lesquelles elle reposait, la perfection et l’élégance des méthodes analytiques qui servaient à la développer, l’éclat et la précision des confirmations que l’expérience apportait à ses prévisions les plus audacieuses et à ses formules les plus détaillées, tout en elle excitait l’enthousiasme des géomètres et des philosophes ; jamais l’esprit humain ne se crut plus près de deviner le système entier de la nature, de découvrir les équations qui détermineraient la trajectoire du moindre atome comme l’orbite du plus grand astre ; nul n’accusait Laplace d’exagérer l’importance des résultats qu’il avait obtenus, en lisant ces lignes par lesquelles il terminait l’exposé de sa théorie de la chaleur :

« Les phénomènes de l’expansion de la chaleur et des vibrations des gaz sont ramenés à des forces attractives et répulsives qui ne sont sensibles qu’à des distances imperceptibles. Dans ma théorie de l’action capillaire, j’ai ramené à de semblables forces les effets de la capillarité. Tous les phénomènes terrestres dépendent de ce genre de forces, comme les phénomènes célestes dépendent de la gravitation universelle. La considération de ces forces me paraît devoir être maintenant le principal objet de la Philosophie mathématique. »

P. Duhem.