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d’or. On entendait le cliquetis d’un métier à tisser. Par la fenêtre, on apercevait une tisseuse et son geste rythmique pour lancer les navettes. Sur l’aire voisine, un bœuf gris était couché, de taille énorme, qui secouait les oreilles et la queue, paisiblement et sans relâche, pour chasser les mouches. Autour de lui, des poules grattaient.

Un peu plus loin, un second ruisseau traversait le sentier : rieur, plissé de vaguelettes, gai, frétillant, limpide.

Un peu plus loin encore, près d’une autre maison, il y avait un jardin silencieux, plein de lauriers touffus, clos de toutes parts. Les tiges, minces et droites, se dressaient immobiles, avec leur couronne de feuillage luisant. Et un de ces lauriers, le plus robuste, était tout enveloppé par une grande bryone amoureuse qui triomphait du feuillage austère par la délicatesse de ses fleurs de neige et par la fraîcheur de son parfum nuptial. Dessous, la terre paraissait nouvellement remuée. Dans un angle, une croix noire répandait sur l’enceinte muette cette sorte de tristesse résignée qui règne dans les cimetières. Au bout de la sente on apercevait un escalier, mi-partie au soleil et mi-partie à l’ombre, par où l’on montait à une porte entr’ouverte que protégeaient deux rameaux d’olivier bénit suspendus à l’architrave rustique. En bas, sur la dernière marche, un vieillard assis dormait, la tête nue, le menton sur la poitrine, les mains posées sur les genoux ; et le soleil allait atteindre son front vénérable. D’en haut, par la porte entr’ouverte, comme pour favoriser ce sommeil sénile, descendaient le bruit égal d’un berceau balancé et la cadence égale d’une chanson fredonnée.

Toutes ces humbles choses paraissaient avoir une vie profonde.


V

Hippolyte annonça que, selon sa promesse, elle arriverait à San-Vito le mardi 20 mai, par le train direct, vers une heure de l’après-midi.

C’était dans deux jours. George lui écrivit : « Viens, viens ! Je t’attends, et jamais attente n’a été plus furieuse. Chaque minute qui passe est irrémissiblement perdue pour le bonheur. Viens. Tout est prêt. Ou plutôt, non, rien n’est prêt, excepté mon désir. Il faut, mon amie, que tu fasses provision d’une patience et d’une indulgence inépuisables ; car, dans cette solitude sauvage et impraticable, toutes les commodités de la vie te manqueront. Oh ! combien impraticable ! Figure-toi, mon amie, que de la gare de San-Vito à l’ermitage il y a bien trois quarts d’heure de chemin ; et, pour franchir cette distance, le seul moyen est de parcourir