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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 130.djvu/110

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À l’aube du grand jour, en se réveillant après quelques heures d’un demi-sommeil inquiet, il pensa avec un frisson de tous ses nerfs : « Elle arrive aujourd’hui ! Aujourd’hui, dans la lumière d’aujourd’hui, mes yeux la verront ! Je la tiendrai entre mes bras. Il me semble presque que ce sera la première possession ; il me semble aussi que j’en pourrais mourir. » La vision qu’il évoquait lui donna un heurt si rude qu’il eut le corps traversé du haut en bas par un sursaut semblable à celui que cause une décharge électrique. En lui survenait le terrible phénomène physique contre la tyrannie duquel il était sans défense. Sa conscience tombait toute sous l’empire absolu du désir. Une fois encore la luxure héréditaire éclatait avec une invincible furie chez cet amant délicat qui se plaisait à appeler sœur son aimée et qui avait soif de communions spirituelles. Il évoqua en esprit la beauté de sa maîtresse ; et chaque contour, vu à travers la flamme, prenait pour lui une splendeur radieuse, chimérique, presque surhumaine. Il évoqua la grâce de sa maîtresse ; et chaque attitude prenait une fascination voluptueuse d’une inconcevable intensité. En elle, tout était lumière, parfum, et rythme.

Cette admirable créature, il la possédait, lui, lui seul… Mais, spontanément, comme la fumée monte d’un feu impur, une pensée de jalousie se dégagea de son désir. Pour dissiper le trouble qu’il sentait croître, il sauta du lit.

A la fenêtre, dans l’aube, les rameaux d’olivier avaient une imperceptible ondulation, pâles, entre gris et blanc. Sur la monotonie sourde de la mer, les moineaux jetaient leur gazouillement encore discret. Dans une étable, un agneau poussait un bêlement timide.

Il sortit sur la loggia, réconforté par la vertu tonique du bain, et but à longues gorgées l’air matinal chargé d’effluves savoureux. Ses poumons se dilatèrent ; ses pensées prirent leur essor, agiles, marquées toutes à l’image de la femme attendue ; un ressentiment de jeunesse lui fit palpiter le cœur.

Devant lui, c’était la nativité du soleil, pure, simple, sans apparat de nuages, sans mystère. Sur la mer argentée montait une face vermeille, au contour net, presque tranchant, comme celui d’un disque de métal qui sort de la forge.

Colas de Sciampagne, qui était occupé à nettoyer la cour, lui cria :

— Aujourd’hui c’est grande fête. La dame arrive. Le blé épie sans attendre l’Ascension.

George sourit au mot courtois du vieillard et demanda :

— Vous avez pensé aux femmes, pour cueillir les fleurs de genêt ? Il faut joncher tout le chemin.