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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 130.djvu/111

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Le vieux fit un geste d’impatience, comme pour dire qu’il n’avait pas besoin d’avertissement.

— J’en ai fait venir cinq !

Et en les nommant, il indiquait les lieux où habitaient ces jeunes filles :

— La fille de la Singesse, la fille de l’Ogre, Favette, Splendeur, la fille du Garbin.

Ces noms entendus causèrent à George une allégresse soudaine. Il lui sembla que tous les esprits printaniers entraient dans son cœur, qu’un flot de fraîche poésie l’inondait. Ces vierges ne sortaient-elles pas d’un conte de fée pour joncher la route sous les pas de la Belle Romaine ?

Il s’abandonna aux jouissances anxieuses de l’attente. Il descendit ; il s’enquit :

— Où font-elles leur récolte de genêts ?

— Là-haut, répondit Colas de Sciampagne en indiquant le tertre ; là-haut, à la Chesnaie. Leur chant te servira de guide. En effet, par intervalles, un chant féminin venait du coteau. George s’engagea sur la pente à la recherche des chanteuses. Le petit chemin tortueux serpentait dans un taillis de jeunes chênes. A un certain endroit, il se divisait en quantité de sentes dont on n’apercevait pas la fin ; et les étroites coulisses creusées entre les fourrés, traversées par d’innombrables racines à fleur de terre, formaient une sorte de labyrinthe montagneux où les moineaux gazouillaient, où les merles sifflaient. George, sur la double trace du chant et du parfum, ne s’égarait pas. Il trouva le champ des genêts.

C’était un plateau où les genêts avaient une floraison si drue qu’elle offrait aux yeux l’uniformité d’un vaste manteau jaune, couleur de soufre, resplendissant. Les cinq jouvencelles cueillaient les branches fleuries pour emplir leurs paniers et chantaient. Elles chantaient à pleine voix, sur un accord parfait de tierce et de quinte. Lorsqu’elles arrivaient au refrain, elles redressaient leur buste de dessus le buisson pour permettre à la note de jaillir plus libre de leur poitrine dégagée ; et elles tenaient la note longtemps, longtemps, en se regardant dans les yeux, en tendant devant elles leurs mains pleines de fleurs.

À l’aspect de l’étranger elles s’interrompirent, se penchèrent sur les buissons. Des rires mal réprimés coururent sur le tapis jaune. George interrogea :

— Qui de vous se nomme Favette ?

Une jeune fille, brune comme une olive, se releva pour répondre, étonnée, presque peureuse.

— C’est moi, seigneur.