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d’indulgence pour la disproportion et l’insignifiance de la tête, et pour une hésitation générale dans la construction et dans le mouvement de la figure, qui arrêterait, à elle seule, l’imagination dans son essor vers un idéal surhumain. En de pareils colosses, pour qu’ils nous puissent ravir, il faut que la vie surabonde et fasse, d’un bout à l’autre, palpiter toute la masse. D’autres Èves, moins ambitieuses, celle de M. Perrey qui a laissé, comme une charmeuse, s’enrouler le serpent autour de son bras, celle de M. de Gontaut-Biron, plus méditative, sous le titre un peu moderne de Première suggestion, laissent encore un souvenir agréable.


Sapho, une autre pécheresse, moins naïve et se prêtant moins aux interprétations morales, continue à attirer, vers le rocher de Leucade, une troupe d’adorateurs attardés. M. Guilbert, naviguant sur la mer bleue, arrive, juste à point, près de la côte, pour voir, de face, la désespérée faisant le grand saut et descendant vers l’abîme. C’est d’un œil inquiet et surpris qu’on voit tomber, tous voiles rejetés, les jambes écartées, ce beau corps de marbre qui va se briser ou s’aplatir, dans une seconde, sur la grève. Cette fixation d’un mouvement rapide et fatal, qu’interrompt seulement, pour la circonstance, et contrairement à la vérité, un artifice de métier, est une de celles qui répugnent le plus à l’art sculptural. On ne saurait approuver M. Guilbert de s’en être servi. Le gros public, sans doute, s’extasie d’abord devant ces difficultés d’équilibre qu’il considère comme des tours de force, mais, avec son invincible bon sens, il s’en détourne aussi vite qu’il y est venu, éprouvant, lui-même, peu de plaisir et même quelque embarras à analyser les perfections plastiques ou l’expression douloureuse d’une personne qui tombe si vite et qui devrait déjà être en bas. Dans le cas présent, c’est dommage, car la personne est belle, d’une beauté mûre, assurément, mais encore attrayante, avec un air de tête passionné et fatigué ; c’est le meilleur morceau de marbre qu’ait sculpté M. Guilbert ; on en aurait mieux apprécié les mérites, s’il avait été présenté plus simplement. MM. Armand-Auguste en faisant comparaître Sapho devant Phaon, Mme Cranney-Franceschi, en nous la montrant encore debout sur le rocher. M. Seysses, en recueillant son corps tombé sur la plage se sont conduits en sculpteurs plus avisés. Celle de Mme Cranney-Franceschi est une aimable femme, de petite beauté, mais d’un désespoir sincère ; en s’avançant vers le précipice, sa résolution prise, elle rejette sa lyre inutile et s’arrache du front la couronne méprisée ; le mouvement est heureux, bien qu’il cache trop le visage. M. Seysses, qui a de la