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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 130.djvu/189

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ciel de sa victoire. L’idée n’est pas nouvelle, car c’était celle de Foyatier, sur la place du Martroy, à Orléans, mais entre l’amazone pesante, hésitante, vaguement définir de Foyatier, et la missionnaire fervente, résolue, expressive, vivement et profondément précisée, de M. Paul Dubois, il y a toute Indifférence d’une noble tentative à une réalisation complète et définitive. D’autres artistes pourront encore, cependant, après lui trouver dans la figure de Jehanne des aspects différens qu’ils s’efforceront de rendre ; la matière n’est point épuisée.

Voici M. Mercié, par exemple, qui reprend, pour le monument de Domremy, un sujet souvent traité, la mission de Jeanne, ses visions, son départ. M. Mercié est un sculpteur héroïque ; c’est dans les puissantes allégories d’une synthèse haute et générale qu’il se développe à l’aise : le Gloria Victis, le Génie des Arts, le Quand Même ! etc. Partout ailleurs, dans la figure isolée, dans l’épisode, il hésite et se rapetisse. Nous en avons la preuve ici même, dans une statue de Guillaume Tell posant le pied sur le rocher ; condamné à suivre un programme sans doute trop étroit, forcé de reproduire une figure banalisée, sans rien modifier au costume ni aux accessoires, M. Mercié a senti tiédir sa verve ; il n’a abouti qu’à tailler une image correcte, d’un aspect fier et énergique, mais sans caractère saisissant ; on peut croire qu’il en eût été tout autrement s’il avait eu à représenter la Libération de la Suisse. Devant Jeanne d’Arc, il ne pouvait se laisser emprisonner dans l’anecdote, ni traiter à nouveau cet épisode des voix entendues, des visions apparues qui a fourni successivement à Rude, à Benouville, à Chapu, à Bastien-Lepage, à André Allar, à bien d’autres, un motif heureux d’inspiration. La scène du départ de Jeanne, dans son imagination tournée au grandiose, a pris l’aspect d’une synthèse historique. Ce n’est plus saint Michel, ni sainte Catherine, ni sainte Marguerite qui arrachent la bergère à sa quenouille et à ses brebis et la poussent, malgré elle, vers les batailles ; c’est la France même, ce royaume de France « où il y a grand’pitié », sous la figure d’une noble et triste reine, au long manteau fleurdelisé, d’une taille noble et surhumaine, le visage flétri sous ses tresses en désordre et sa fière couronne, avec son écu faussé et transpercé. La haute apparition, désolée et dominatrice, se dresse derrière la fille prête enfin à marcher, exaltée et résolue, et lui pose la main sur l’épaule, en l’encourageant de la voix. Jeanne, la tête dressée, les yeux au ciel, la main gauche sur le cœur, brandissant de l’autre la grande épée qu’elle vient de recevoir, s’élance en avant. La figure semblerait théâtrale, si par l’ardente expression de la tête, la