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simplicité du costume, la franchise générale de l’allure, et surtout le grand développement de la compagne idéale et souveraine qui la protège et qui la transforme, l’artiste n’avait rendu sa noblesse primitive à une attitude naturelle dont le seul tort est d’avoir fourni un thème trop facile aux cantatrices et aux tragédiennes. M. Mercié n’a point dédaigné, non plus, les bonnes sources. Son respect de l’histoire, son sentiment juste et ému de la vérité, se révèlent dans l’ajustement, la coiffure, la physionomie de la France autant que dans l’habillement rustique et le type énergique de Jeanne. Comme Rude, Chapu, Bastien-Lepage, M. Mercié a cru qu’il convenait de donner à la bonne Lorraine un type de nos provinces de l’Est, lorrain ou alsacien, un type actuel et vivant, mais, de plus, en sculpteur épris de beauté, il a cru pouvoir le choisir beau et régulier, ce que rien ne lui interdisait. Le visage de Jeanne, très réel et très ferme, diffère donc beaucoup, chez lui, du visage idéal et attendri qui semble avoir été, chez M. Paul Dubois, la réminiscence d’une effigie du XVe siècle autant que l’interprétation d’une figure rencontrée. L’ensemble est très imposant, d’un rythme épique et martial, presque aussi pittoresque que plastique ; il faut d’ailleurs se souvenir que ce n’est là qu’une première pensée pour une œuvre monumentale et décorative, et qu’il serait injuste d’incriminer l’artiste pour quelques négligences, lourdeurs ou imperfections qu’il saura bien faire disparaître dans l’exécution définitive. La supériorité des Jeanne d’Arc de MM. Paul Dubois et Mercié fait tort, naturellement, à toutes les autres effigies de la Pucelle. Néanmoins, la Jeanne, à pied, au combat, Devant Jargeau, par M. Lanson, est une figure énergique, qui arrête justement l’attention ; et l’on remarque aussi une expression élevée d’enthousiasme dans la Jeanne polychrome de M. Allouard, Après la Victoire.

Des œuvres sans parti pris d’école, à la fois réelles et imaginées, puissamment conçues et soigneusement exécutées, résultat d’une observation précise et d’une pensée bien définie, telles que celles de MM. Falguière, Paul Dubois, Mercié, indiquent, mieux que toutes les paroles, la voie féconde dans laquelle doit résolument entrer la sculpture contemporaine. Qu’il s’agisse d’effigies commémoratives ou de compositions monumentales, c’est dans la réalité même, réalité du présent ou réalité du passé, qu’il faut chercher la source de l’inspiration et les élémens de l’idéal. En dehors de la vérité, de la vérité librement choisie, simplifiée, agrandie, il n’y a qu’un art éphémère et factice, qu’il procède d’une tradition scolaire ou qu’il s’en tienne au caprice individuel. M. Mercié a prouvé éloquemment par son groupe de Quand