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— Oh ! le pays est mauvais ! répétait Candie en branlant la tête. Mais le Messie des Chapelles va venir purifier la terre[1]

— Le Messie ?

— Père ! — cria Candie du côté de la maison, — quand le Messie doit-il venir ?

Le vieux parut sur le seuil :

— Un de ces jours, répondit-il.

Et, se tournant vers les plages en demi-lune qui se perdaient vers Ortone, il signifia d’un geste vague le mystère de ce libérateur nouveau en qui le peuple des campagnes avait mis son espérance et sa foi.

— Un de ces jours. Bientôt.

Et le vieux, qui désirait parler, s’approcha de la table, regarda son hôte avec un sourire incertain, demanda :

— Tu ne sais pas qui c’est ?

— C’est peut-être Simplice, dit George, en la mémoire de qui se réveillait le souvenir lointain et indistinct de ce Simplice de Sulmone qui tombait en extase les regards fixés sur le soleil.

— Non, seigneur. Sembri est mort. Le nouveau Messie, c’est Oreste des Chapelles.

Et le vieux borgne, dans un langage chaud et coloré de vives images, raconta la nouvelle légende telle qu’elle s’était façonnée dans la créance des populations champêtres.

Oreste, étant frère capucin, avait connu Simplice à Sulmone et avait appris de lui à lire les choses futures sur la face du soleil naissant. Puis il s’était mis à courir le monde : il était venu à Rome et avait parlé avec le Pape ; dans un autre pays, il avait parlé avec le Roi. De retour aux Chapelles, sa patrie, il avait passé sept ans dans le cimetière en compagnie de squelettes, portant un cilice, se flagellant jour et nuit avec la discipline. Il avait prêché à l’Église-mère et il avait arraché des larmes et des cris aux pêcheurs. Ensuite il était reparti en pèlerinage pour tous les sanctuaires ; il était resté trente jours sur la montagne d’Ancône ; il était resté douze jours sur le mont Saint-Bernard ; il avait gravi les plus hautes cimes, tête nue sous la neige. Revenu encore aux Chapelles, il avait recommencé à prêcher dans son église. Mais, peu après, persécuté et chassé par ses ennemis, il s’était réfugié dans l’île de Corse ; et là il s’était fait apôtre, avec le dessein de parcourir l’Italie entière et d’écrire avec son sang sur la porte de

  1. Tout l’épisode du Messie des Chapelles est historique. Oreste de Amicis, né en 1824 aux Chapelles, joua précisément le rôle que lui assigne ici le romancier ; il mourut en 1889. M. Antonio de Nino a recueilli et publié de curieux documens sur ce personnage.