Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 130.djvu/265

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chaque ville le nom de la Vierge. Comme apôtre, il était rentré dans sa patrie, annonçant qu’il avait vu une étoile au milieu d’un fourré d’arbres et qu’il en avait reçu le Verbe. Et enfin, par inspiration du Père Eternel, il avait pris le grand nom de Nouveau Messie.

Maintenant il pérégrinait dans les campagnes, vêtu d’une tunique rouge et d’un manteau bleu, avec les cheveux longs sur les épaules et la barbe à la nazaréenne. Les apôtres le suivaient : des hommes qui avaient abandonné la pioche et la charrue pour se vouer au triomphe de la foi nouvelle. Chez Pantaléon Donadio revivait l’esprit de saint Mathieu ; chez Antoine Secamiglio revivait l’esprit de saint Pierre ; chez Joseph Scurti, celui de Maximin ; chez Maria-Clara, celui de sainte Elisabeth. Et Vincent de Giambattista représentait saint Michel archange, était le messager du Messie.

Tous ces hommes avaient labouré la terre, fauché le blé, taillé la vigne, pressuré l’olive ; ils avaient conduit le bétail aux foires et disputé sur le prix ; ils avaient conduit la femme à l’autel, et procréé des enfans, et vu ces enfans grandir, fleurir, mourir ; en somme, ils avaient vécu la vie commune des gens de la campagne parmi leurs égaux. Et maintenant ils passaient, sectateurs du Messie, considérés comme des personnages divins par les mêmes gens avec qui, la semaine précédente, ils étaient entrés en litige pour la mesure du froment. Ils passaient transfigurés, participant de la divinité d’Oreste, investis de sa grâce. Soit aux champs, soit à la maison, ils avaient ouï une voix, ils avaient senti les esprits purs entrer dans leur chair pécheresse, à l’improviste. L’esprit de saint Jean était en Joseph Coppa ; celui de saint Zacharie en Pascal Basilico. Les femmes aussi recevaient le signe. Une femme de Senegallia, mariée à un certain Augustinone, tailleur des Chapelles, avait voulu, pour démontrer au Messie l’ardeur de sa foi, renouveler le sacrifice d’Abraham en mettant le feu à une paillasse où étaient couchés ses enfans. D’autres femmes avaient donné d’autres preuves.

Et maintenant l’élu pérégrinait dans les campagnes avec son escorte d’apôtres et de Maries. Des lieux les plus lointains de la côte et de la montagne les multitudes accouraient sur son passage. À l’aube, lorsqu’il paraissait sur la porte de la maison où il avait logé, il voyait toujours une grande foule qui l’attendait à genoux. Droit sur le seuil, il répandait le Verbe, recevait les confessions, administrait la communion avec les morceaux d’un pain. Pour sa nourriture, il préférait des œufs apprêtés avec des fleurs de sureau ou avec des pointes d’asperges sauvages ; il mangeait