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Dans la paix du clair de lune, un chant religieux dilatait son rythme lent et monotone, avec une alternance de voix masculines et de voix féminines à intervalles égaux. L’un des demi-chœurs chantait une strophe sur un ton grave ; l’autre demi-chœur chantait un refrain sur un ton plus haut, en prolongeant indéfiniment la cadence. Et c’était comme l’approche d’un flot qui s’élèverait et s’abaisserait sans interruption.

Elle s’approchait d’un pas rapide qui faisait contraste avec la lenteur du rythme. Déjà les premiers pèlerins apparaissaient au détour du sentier, près du pont du Trabocco.

— Les voici ! — s’exclama Hippolyte, émue par la nouveauté de ce qu’elle voyait et de ce qu’elle entendait. — Les voici ! Comme ils sont nombreux !

Ils avançaient en masse compacte. Et l’opposition de mesure entre leur marche et leur chant était si étrange qu’elle leur donnait une apparence presque fantastique. Il semblait qu’une force surnaturelle les poussât, inconsciens, vers le but, tandis que les mots sortis de leurs bouches restaient suspendus dans l’air lumineux et continuaient d’onduler après leur passage.

Vive Marie !
Vive Marie !

Ils passèrent avec un piétinement lourd, avec une acre odeur de troupeau, si serrés les uns contre les autres que rien n’émergeait de cette masse, excepté les hauts bâtons en forme de croix. Les hommes marchaient devant ; les femmes suivaient, plus nombreuses, avec des scintillemens d’orfèvreries sous leurs bandelettes blanches.

Vive Marie !
Vive son créateur !

De près, à chaque reprise, leur chant avait la véhémence d’un cri ; puis il diminuait de vigueur, révélant une lassitude vaincue par un effort soutenu et unanime, dont l’initiative dans les deux demi-chœurs venait presque toujours d’une voix unique plus puissante. Et cette voix ne dominait pas seulement les autres lorsqu’elle entonnait, mais souvent, au milieu de l’onde musicale, elle se maintenait haute et reconnaissable pendant toute la durée de la strophe ou du refrain, dénotant une foi plus impérieuse, une âme singulière et dominatrice parmi cette foule indistincte.

George la remarqua et, très attentif, la suivit dans la dégradation de l’éloignement tant que son oreille put la reconnaître. Et cela fit grandir en lui un sentiment extraordinaire de la puissance