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l’esprit contemplatif, le goût des symboles et des allégories, la faculté d’abstraire, une sensibilité extrême aux suggestions visuelles et auditives, une tendance organique aux images dominantes et aux hallucinations. Il ne lui manquait qu’une chose, une grande chose, mais qui peut-être n’était pas morte en lui, et qui sommeillait seulement : la foi, l’antique foi du donateur, l’antique foi de sa race, cette foi qui descendait de sa montagne et chantait les laudes sur le rivage de sa mer.

Comment la réveiller ? comment la ressusciter ? Nul artifice ne serait efficace. Il fallait qu’il attendît l’étincelle soudaine, le choc imprévu. Il fallait peut-être que, comme les sectateurs d’Oreste, il vît l’éclair et entendît la parole au milieu d’un champ, au détour d’un sentier.

Et, de nouveau, il évoqua la figure d’Oreste vêtu de la tunique rouge, s’avançant le long de la petite rivière sinueuse où, sous le tremblotement sans fin des peupliers, un filet d’eau courait sur un lit de grève polie. Il imagina une rencontre, un colloque avec le Messie. — C’était à midi, sur la côte, à proximité d’un champ de froment. Oreste parlait comme un homme simple et humble, en souriant avec une candeur virginale ; et ses dents étaient aussi pures que le jasmin. Dans le grand silence de la mer, le murmure continu des rochers au pied du promontoire imitait les accords lointains d’un orgue. Mais, derrière sa douce personne, dans l’or de la moisson mûre, les pavots, violons symboles du désir, flamboyaient…

« Le désir ! pensa George, rappelé ainsi à sa maîtresse et à la tristesse corporelle de son amour. Qui tuera le désir ? » Les admonitions de l’Ecclésiastique lui revinrent à la mémoire. Non des mulieri potestatem animæ tuæ… A muliere initium factum est peccati, et per illam omnes morimur… A carnibus tuis abscinde illam… Il vit, dans l’aube sacrée des âges, en un jardin délicieux, le premier homme solitaire et triste qui attirait la première compagne, et il vit cette compagne devenir le fléau du monde, répandre partout la douleur et la mort. Mais la volupté envisagée comme un péché lui parut plus fière, plus troublante ; il lui sembla qu’aucune autre ivresse n’égalait en intensité l’ivresse frénétique des embrassemens auxquels se livraient les martyrs de l’Église primitive dans les prisons, en attendant le supplice. Il évoqua des images de femmes qui, folles de terreur et d’amour, offraient aux baisers leur visage inondé de pleurs silencieux.

En aspirant à la foi et à la rédemption, que faisait-il lui-même sinon aspirer à des frissons et à des spasmes nouveaux, à des voluptés inconnues ? Enfreindre le devoir et obtenir le pardon ;