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pureté souveraine que Dieu même, puisque Dieu aime sa créature mais exige d’elle une réciprocité d’amour et devient terrible contre qui refuse de l’aimer. Son amour, à elle, c’était l’amour stylite, sublime et solitaire, qui se nourrissait d’un seul sang et d’une seule âme. Elle avait senti tomber autour d’elle cette partie de sa substance qui s’opposait à l’offrande totale. Rien ne subsistait en elle de trouble ni d’impur. Son corps s’était métamorphosé en un élément subtil, agile, diaphane, incorruptible ; ses sens s’étaient fondus en une suprême et unique volupté. Elevée au sommet de la stèle merveilleuse, elle brûlait et jouissait de son ardeur et de sa splendeur, pareille à une flamme qui serait consciente de sa propre vie enflammée…

Hippolyte tendit l’oreille et dit :

— N’entends-tu point ? Encore une procession ! C’est demain la Vigile.

Les aubes, les midis, les crépuscules et les nuits résonnaient de chants religieux. Un pèlerinage suivait l’autre, sous le soleil, sous la lune. Tous émigraient vers le même but et célébraient le même nom, emportés par la véhémence d’une même passion, terribles et misérables d’aspect, abandonnant sur le chemin les malades et les moribonds, sans s’arrêter, prompts à renverser n’importe quel obstacle pour parvenir là où était le baume à tous leurs maux, la promesse à toutes leurs espérances. Ils marchaient, marchaient sans s’arrêter, mouillant de leurs sueurs leurs propres traces sur la poussière sans fin.

Quelle immense irradiation de force devait avoir cette simple image pour ébranler et attirer toutes ces masses de chair lourde ! Environ quatre siècles auparavant, un vieillard septuagénaire, dans une plaine dévastée par la grêle, avait cru apercevoir au faîte d’un arbre la Vierge de Miséricorde ; et, depuis lors, chaque année, à l’anniversaire de l’apparition, tout le peuple de la montagne et du littoral allait en pèlerinage vers le lieu saint pour demander grâce de ses souffrances.

Hippolyte avait appris déjà la légende par la bouche de Candie ; et depuis quelques jours, elle nourrissait un secret désir de visiter le sanctuaire. En elle, la prédominance de l’amour et l’habitude du plaisir sensuel avaient refoulé l’esprit religieux ; mais. Romaine de race, et, qui plus est, née au Transtévère, élevée dans une de ces familles bourgeoises où, par une tradition immémoriale, la clef des consciences est toujours aux mains d’un prêtre, elle était très catholique, encline à toutes les pratiques extérieures de l’Église, sujette à des retours périodiques de ferveur exaltée.