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marbre blanc, merveilleuse fleur d’art créée par un artiste sans nom… Droite sur le candélabre, en silence, tu illumineras de ta face les méditations de mon âme.

Il sourit de cette phrase lyrique, tout en contemplant intérieurement la belle image évoquée. Et elle, dans l’ingénuité de son égoïsme, avec cette animalité tenace qui forme le fond de l’être féminin, ne s’enivrait de rien plus que de cette poésie passagère. Son bonheur était d’apparaître aux yeux de son amant idéalisée comme le premier soir, dans la rue bleuissante ; ou encore comme dans l’oratoire secret, parmi la musique religieuse et les parfums évanouis ; ou comme sur le sauvage sentier jonché de genêts.

De sa voix la plus pure, elle demanda :

— Quand partons-nous ?

— Si nous partions demain ?

— Demain, soit.

— Prends garde ! Si tu montes, tu ne pourras plus descendre.

— Qu’importe ? je te regarderai.

— Tu brûleras, tu te consumeras comme un cierge.

— Je t’illuminerai.

— Tu illumineras aussi mes funérailles…

Il prononçait ces phrases sur un ton léger ; mais, au fond de lui-même, avec son ordinaire intensité de vie fictive, il composait son roman mystique. — Après de longues années d’égarement sur les abîmes de la luxure, le repentir lui était venu. Initié à tous les mystères qu’exaltait sa concupiscence, il implorait maintenant du Miséricordieux la grâce qui dissiperait l’insupportable tristesse de cet amour charnel. « Pitié pour mes jouissances d’autrefois et pour mes souffrances d’aujourd’hui ! Faites, ô mon Dieu ! que j’aie la force d’accomplir ce sacrifice en votre nom ! » Et il fuyait, suivi de sa maîtresse, en quête du refuge. Et enfin, au seuil du refuge, le miracle s’accomplissait ; car l’impure, la corruptrice, l’implacable Ennemie, la rose de l’Enfer, se dépouillait soudain de tout péché et se faisait nette de toute souillure pour suivre son Aimé jusqu’à l’autel. Devenue lumineuse, elle illuminait les ténèbres saintes. Au faîte du haut candélabre de marbre où se taisait depuis des siècles la voix de la lumière, elle brûlait dans la flamme inextinguible et silencieuse de son amour. « Droite sur le candélabre, en silence, tu illumineras de ta face les méditations de mon âme, jusqu’à la mort. » Elle brûlait d’un feu intérieur, sans jamais réclamer nul aliment pour sa flamme, sans jamais demander rien en retour à l’Aimé. Amabat amare. Elle renonçait pour toujours à toute possession : plus haute en sa