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sa chevelure, le papillon nocturne agitait sans répit ses petites ailes diaprées.


VI

Sous la tente plantée dans la grève, après le bain, demi-nu il regardait Hippolyte, qui s’attardait au soleil sur le bord de l’eau, enveloppée de son peignoir blanc. En regardant, il avait dans les yeux des scintillations presque douloureuses, et la grande lumière de midi lui causait une sensation nouvelle de malaise physique mêlée à une sorte de vague épouvante. C’était l’heure terrible, l’heure panique, l’heure suprême de la lumière et du silence, planant sur le vide de la vie. Il comprenait la superstition païenne, l’horreur sacrée des midis caniculaires sur la plage habitée par un dieu cruel et occulte. Au fond de son vague effroi se mouvait quelque chose de pareil à l’anxiété de l’homme qui attend une apparition subite et formidable. Il se paraissait à lui-même puérilement faible et peureux, diminué de courage et de forces comme après une épreuve défavorable. En plongeant son corps dans la mer, en offrant son front au plein soleil, en parcourant à la nage une courte distance, en s’essayant à son exercice préféré, en mesurant sa respiration sur le souffle de l’espace sans bornes, il avait senti à d’indubitables indices l’appauvrissement de sa vigueur, le déclin de sa jeunesse, l’œuvre destructive de l’Ennemie ; il avait senti une fois encore le cercle de fer se resserrer autour de son activité vitale et en réduire une zone de plus à l’inertie et à l’impuissance. La sensation de cette langueur musculaire devenait pour lui d’autant plus profonde qu’il regardait plus attentivement la personne de cette femme dressée dans la splendeur du jour.

Pour sécher ses cheveux, elle les avait dénoués ; et les boucles, rendues massives par l’eau, lui tombaient sur les épaules, si sombres qu’elles semblaient presque de violette. Son corps svelte et droit, enveloppé comme dans les plis d’un péplum, se dessinait par moitié sur le champ glauque de la mer et par moitié sur la transparence lumineuse du ciel. À peine entrevoyait-on hors de la chevelure le profil de la face penchée et attentive. Elle était tout absorbée dans le plaisir alternatif de mettre ses pieds nus sur le sable torride et de les y tenir aussi longtemps qu’elle en pouvait supporter l’ardeur, puis de les plonger tout brûlans dans l’onde caressante qui léchait la grève. Et cette double sensation semblait lui donner une jouissance infinie, où elle s’oubliait. Elle se trempait, se fortifiait par le contact avec les choses libres et