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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 130.djvu/290

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le perpétuel retour des forces transformées, de même, dans la Tragédie, dont les origines sont précisément dionysiennes et se rattachent à ces fêtes, il avait pour unique aspiration d’être lui-même l’éternelle volupté du Devenir… »

À un détour du sentier, George s’arrêta en entendant approcher une voix mélodieuse qu’il lui sembla reconnaître. Et, lorsqu’il la reconnut, il eut un soudain élan d’allégresse. C’était la voix de Favette, de la jeune chanteuse aux yeux de faucon : la voix vibrante qui réveillait toujours en lui le souvenir de la joyeuse matinée de mai resplendissant sur le labyrinthe des genêts fleuris, sur la solitude du jardin d’or où, tout étonné, il avait cru découvrir le secret de la joie.

Sans soupçonner la présence de l’étranger dissimulé par une haie, Favette s’avançait conduisant une vache par la longe. Et elle chantait, la tête haute, la bouche ouverte vers le ciel, tout le visage en pleine lumière ; et, de sa gorge, le chant jaillissait fluide, limpide, cristallin comme une source. Derrière elle, la belle bête neigeuse cheminait avec mansuétude, et, à chaque pas, son fanon ondulait et la masse de ses pis gonflés de lait par la pâture ballottait entre ses jambes.

Lorsqu’elle aperçut l’étranger, la chanteuse s’interrompit et fit mine de s’arrêter. Mais lui, allant à sa rencontre avec un air de fête, comme s’il eût retrouvé une amie des temps heureux :

— Où vas-tu donc, Favette ? s’écria-t-il.

S’entendant appeler par son nom, elle rougit et sourit avec embarras.

— Je reconduis la vache à l’étable, répondit-elle.

Comme elle avait brusquement ralenti le pas, le mufle de la bête lui effleura les reins ; et son buste hardi se dressait entre les grandes cornes comme dans le croissant d’une lyre.

— Tu chantes toujours ! dit George en l’admirant dans cette attitude. Toujours !

— Eh ! seigneur, fit-elle avec un sourire, si on nous ôtait le chant, que nous resterait-il ?

— Te rappelles-tu cette matinée où tu as cueilli les fleurs de genêt ?

— Les fleurs de genêt pour ton épouse ?

— Oui ; tu te rappelles ?

— Je me rappelle.

— Rechante-moi cette chanson !

— Seule, je ne puis pas la chanter.

— Alors, chantes-en une autre.

— Comme cela, tout de suite, en ta présence ? J’ai honte. Je chanterai en chemin. Adieu, seigneur.