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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 130.djvu/301

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Une chaleur lyrique dilatait sa pensée. La fin de Percy Shelley, si souvent enviée et rêvée par lui sous l’ombre et sous le claquement de la voile, lui réapparut dans un immense éclair de poésie. Ce destin avait une grandeur et une tristesse surhumaines. « Sa mort est mystérieuse et solennelle comme celle des antiques héros de la Grèce, qu’une invisible puissance enlevait de terre à l’improviste et emportait transfigurés dans la sphère joviale. Comme dans le chant d’Ariel, rien de lui n’est anéanti ; mais la mer l’a transfiguré en quelque chose de riche et d’étrange. Son corps juvénile brûle sur un bûcher, au pied de l’Apennin, devant la solitude de la mer tyrrhénienne, sous l’arc bleu du ciel. Il brûle avec les aromates, avec l’encens, avec l’huile, avec le vin, avec le sel. Les flammes sonores montent dans l’air immobile, vibrent et chantent vers le soleil témoin, qui fait scintiller les marbres aux cimes des montagnes. Tant que le corps n’est pas consumé, une hirondelle marine ceint le bûcher de ses vols. Et puis, lorsque le corps en cendres se désagrège, le cœur apparaît nu et intact : — Cor Cordium. »

N’avait-il pas peut-être, lui aussi, comme le poète de l’Epipsychidion, aimé Antigone dans une existence antérieure ?

Sous lui, autour de lui, la symphonie de la mer grandissait, grandissait dans l’ombre ; et, sur lui, le silence du ciel étoile devenait plus profond. Mais, du côté du rivage, un grondement s’approchait, sans ressemblance avec aucun autre bruit, très reconnaissable. Et, lorsqu’il se tourna de ce côté, il vit les deux fanaux du train, pareils à la fulguration de deux yeux de flamme.

Assourdissant, rapide et sinistre, le train qui passait ébranla le promontoire ; en une seconde il parcourut la voie découverte ; puis, sifflant et grondant, il disparut dans la bouche du tunnel opposé.

George se dressa d’un bond. Il s’aperçut qu’il était resté seul.

— George ! George ! Où es-tu ?

C’était l’appel inquiet d’Hippolyte qui venait le chercher ; c’était un cri d’angoisse et d’effroi.

— George ! Où es-tu ?


Gabriel d’Annunzio.