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le comité usurpateur et l’argent démoralisateur, — pour passer sous silence la troisième force à laquelle se plie le suffrage universel inorganique : la candidature officielle, la pression administrative ? Puisque la « décentralisation » est, en ce moment, à la mode, pourquoi ne pas commencer par « décentraliser » le suffrage que les comités accaparent, quand ce n’est pas l’argent qui le frelate ou l’administration qui le manipule ? Pourquoi ne pas l’affranchir de cette servitude ? Pourquoi ne pas le faire, puisqu’on le peut, plus digne et plus libre ? Et on le peut. En effet, que faut-il ? Encore et toujours une seule chose : l’organiser. De cette manière, garantir au pays une représentation plus exacte, qui le « représentera » réellement et le représentera tout entier ; une législation plus impartiale, qui ne sera pas faite à l’avantage, même injuste, du nombre, exclusivement par les élus du nombre, ses courtisans forcés : équilibrer les élémens, et les pondérer les uns par les autres ; pour la stabilité et le développement, pour la fécondité de la démocratie elle-même, imposer des limites à la démocratie, faire couler ses eaux divisées en un réseau de canaux et d’écluses.

Pourquoi donc remettre à demain ? Pensons-y, bien plutôt, tandis que nous sommes relativement de loisir ; pensons-y pour agir plus que pour philosopher, dans un esprit pratique et politique. Ce n’est pas d’aujourd’hui que ces questions sont agitées ou qu’est agitée cette question, grosse de tant de questions, de l’organisation du suffrage universel. Plusieurs systèmes ont été proposés, qui valent la peine d’un examen. Ces différens systèmes, nous les étudierons. Mais deux points sont à mettre tout de suite hors de discussion. Le premier (il importe d’éviter une équivoque que trop d’intéressés se feront un plaisir de soulever), c’est que le suffrage organisé restera le suffrage universel, que personne n’y aura de privilèges, que personne n’y sera dépouillé de son droit, qu’il restera égal — qu’il sera même plus universel, plus égal que ne l’est le suffrage inorganique faussement dit universel. Le second point, c’est que le système à préférer sera celui qui organisera le suffrage universel lui-même, le corps électoral lui-même, et qui, en les organisant, nous donnera vraiment, dans ce temps-là, un « corps » électoral et un suffrage « universel ».


CHARLES BENOIST.