Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 130.djvu/314

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la division du travail dans le domaine scientifique, par le conflit des différentes et contraires idées maîtresses que les phases successives de la civilisation ont laissées dans les cerveaux humains, par les idées de liberté et le tort qu’on a de croire qu’elles sont la solution définitive, par l’individualisme et le tort qu’on a de s’y attarder comme à un état définitif, l’anarchie intellectuelle et par suite morale la plus complète règne partout. Le XIXe siècle piétine sur place avec impatience, avec colère, avec inquiétude, et, qui bien pis est, avec complaisance. Il est une halte dans l’incertitude. Il faut probablement sortir de là.


III

Pourquoi ? dites-vous. Parce que « l’esprit humain tend constamment à l’unité de méthode et de doctrine ; c’est pour lui l’état régulier et permanent : tout autre ne peut être que transitoire » ; parce que jamais le monde n’a vécu que rassemblé autour d’une idée générale qui lui donnait sa méthode de recherches, d’études, d’explications pour toutes choses ; parce qu’il change de principe directeur, mais non pas de nature, et que sa nature est d’avoir un principe directeur ; parce que, donc, il en faut un nouveau, les anciens ayant l’un après l’autre disparu, en laissant derrière eux des ombres gênantes d’eux-mêmes, mais en perdant leur vertu directrice, leur force d’idées vivantes. Il faut un nouveau principe directeur pour sortir de l’anarchie, ou l’on en sortira tout de même, mais en retournant aux principes directeurs anciens et en leur donnant la vie factice qu’ils peuvent toujours recouvrer, parce que toujours ils laissent d’eux-mêmes quelque chose dans l’esprit des hommes. Sortons donc de l’anarchie par la découverte d’un nouveau principe.

Mais comment ? — Réfléchissons un peu. Nous disions peut-être un peu trop tout à l’heure que liberté de penser n’importe quoi était tout ce que les deux ou trois derniers siècles avaient laissé derrière eux. Ils ont laissé cela surtout, et ce que l’homme moderne aime en apparence le plus c’est n’accepter aucune doctrine et croire qu’il en a une à lui ; cependant il semble qu’une nouvelle puissance intellectuelle s’est levée depuis trois siècles qui a quelques-uns au moins des caractères qu’avaient les anciennes. Les hommes croient à la science un peu comme ils croyaient autrefois aux choses de foi. Sceptiques, oui, en religion, en philosophie, en politique quelquefois, en morale souvent ; penseurs libres ou libres penseurs, oui, en théologie, en métaphysique, en sociologie et en éthique ; en physique, non, en astronomie, non. Voilà