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indispensable. La section transversale de cette tranchée devait avoir 70 mètres au plan d’eau, 24 mètres au plafond et 9m,50 de profondeur. C’était bien un canal maritime, et le trait final, la profondeur, en fixait le caractère particulier. Il s’agissait évidemment d’un instrument de guerre.

La période qui s’écoula jusqu’en 1877 n’était pas favorable aux grandes entreprises de travaux publics. Après de si grandes conquêtes, la Prusse avait assez à faire de s’établir solidement sur les territoires annexés et d’organiser à son profit l’Empire allemand. Quand cette tâche fut suffisamment avancée au gré de M. de Bismarck, un armateur de Hambourg, H. Dahlström, fit paraître — c’était en 1878 — une brochure qui ennuierait « les avantages économiques d’un canal maritime coupant le Schleswig-Holstein. » La presse officieuse fut lancée sur cette piste, et l’agitation commença dans toute l’Allemagne.

Préparer l’opinion publique n’était pas inutile, car il y avait des oppositions à vaincre, des intérêts à rassurer. Si l’on n’avait plus à compter avec Copenhague et ses Danois, c’était avec Hambourg, Lübeck, Brème ; avec des Allemands particularistes sans doute, mais enfin des Allemands. Or, nous l’avons déjà dit, le canal projeté menaçait les étapes où les produits étrangers avaient accoutumé de faire une pause en passant d’une mer dans l’autre. Les pétroles, les vins, les huiles exotiques (pour ne citer qu’une des branches de l’importation) allaient donc pénétrer directement dans la Baltique, au lieu de s’arrêter dans les ports de l’Elbe, du Weser, de la Trave ? — D’ailleurs, à ceux-ci l’entreprise apparaissait trop nettement prussienne. Qui donc en profiterait ? Kiel, d’abord, ruinant Lübeck du coup ; puis Stettin et Swinemünde, débouchés de la riche vallée de l’Oder ; Danzig, Pillau, Königsberg, Memel, entrepôts de la Prusse propre et de la Pologne.

Chose étrange, ces ports baltiques exprimaient des craintes analogues. Pour eux, la nouvelle voie de navigation devait favoriser surtout les ports russes, qui correspondraient ainsi directement avec Hambourg, Brème, Londres et Rotterdam. Pour calmer tant d’inquiétudes, il fallut de longs efforts, des conférences, des négociations. Il fallut surtout promettre l’appui financier de l’Etat, l’Empire pour les uns, le royaume de Prusse pour les autres, car bientôt sénats, municipalités, chambres de commerce, soucieux de retenir leur clientèle, s’avisèrent de creuser leurs ports, de rectifier leurs estuaires, de doter leurs nouveaux bassins d’un outillage perfectionné.

Königsberg se lia plus étroitement à Pillau par un chenal profond au travers du Frische-haff ; Danzig fit de son faubourg