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— Les tracés proposés ne résolvaient pas complètement le problème de la mise en communication des deux grands ports de guerre allemands, puisque le navire parti de Kiel débouchait dans l’Elbe ou sur la côte occidentale du Schleswig et que, dans l’un ou dans l’autre cas, il lui restait à parcourir 40 milles marins pour gagner Wilhelm’shaven. Il résultait de là que, si l’ennemi venait s’établir à l’issue du canal et qu’il manœuvrât habilement, il réussirait toujours à tenir séparées les deux fractions de la flotte allemande. Il en serait autrement si le canal se prolongeait au-delà de l’Elbe jusqu’à la Jade… mais alors ce n’étaient plus 200 millions, c’étaient 300, 400 peut-être ! — Si du moins ce trajet en haute mer du débouché du canal à la Jade était couvert vis-à-vis de l’ennemi par un obstacle quelconque, par un poste avancé, une île, que l’on pût fortifier et qui constituât un solide point d’appui ? — Il y en avait un, Helgoland, et placé à souhait. Mais cet îlot appartenait à l’Angleterre, qui le gardait jalousement.

— Ce canal maritime, à supposer qu’il réalisât l’idéal de la ligne de communications intérieure, présentait un grave inconvénient : il coupait en deux l’isthme germano-danois, laissant le Holstein au sud et le Schleswig au nord, qu’il isolait du reste de l’Allemagne, car un fleuve de 70 mètres de large et de 9 mètres de profondeur n’est point si facile à franchir en dehors des passages préparés. Qu’arriverait-il si l’ennemi débarquait dans le Schleswig et s’avançait rapidement jusqu’au canal en coupant les ponts, en détruisant les bacs ? Comment lui enlever ensuite le terrain conquis et si nettement délimité par cette ligne d’eau artificielle ?

Ces objections avaient une grande valeur, mais une valeur inégale. On s’efforça donc, soit de persuader peu à peu l’éminent homme de guerre, soit de donner satisfaction à ses justes scrupules.

Sur le premier point la réponse était assez facile : études, sondages, calculs établis avec un soin scrupuleux, on avait encore majoré les prix de revient probables, afin de tenir compte à l’avance des incidens imprévus : on ne dépasserait certainement pas 200 millions. Quant à demander cette somme pour la flotte, ce n’était pas possible : le Reichstag ne l’accorderait pas. Dût-il s’y résigner que l’on ne retirerait pas de cette solution les mêmes avantages que du percement du canal. En effet, avec ces 200 millions, on n’aurait pas plus de huit navires de premier rang, car il fallait, parallèlement à ces constructions, entreprendre de grands travaux dans les ports, creuser de nouveaux bassins de radoub, augmenter l’outillage et surtout porter brusquement du