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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 130.djvu/336

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simple au double le personnel de toute catégorie, au risque d’affaiblir sa valeur militaire. Les choses de la marine devaient être menées avec plus de circonspection. — Au contraire, si on creusait le canal, le Reichstag aurait toujours mauvaise grâce à s’opposer à l’accroissement normal de la marine. On trouverait même à cet accroissement un motif de plus dans la nécessité de défendre, en temps de guerre, les deux issues de la nouvelle route maritime, de sorte qu’au bout de quelques années on aurait à la fois et le canal et une flotte puissante.

Autre point de vue de la question : dépensés immédiatement à construire des navires, les 200 millions ne rapportaient rien. C’était un capital immobilisé, sinon réellement improductif ; tandis que, dépensés au canal, et si faible que l’on supposât le rendement de l’exploitation, ils porteraient un intérêt que rien n’empêchait de consacrer à l’augmentation de la flotte. C’était l’affaire de quelques années. Au reste, la situation politique, la conclusion des alliances permettaient d’attendre.

Sur le second point — l’inconvénient de la distance qui sépare la Jade du débouché du canal — il fallait reconnaître que le maréchal avait raison, au moins au point de vue théorique. Mais, en réalité, cette offensive de l’ennemi était-elle à craindre ? On avait vu, en 1870, la flotte française toujours hésitante devant ces estuaires, n’ayant ni cartes exactes ni renseignemens précis, ni navires à faible tirant d’eau. Il ne semblait pas que rien fût changé depuis douze ans, et on avait, de plus, le bénéfice de la légende de l’inaccessibilité du littoral.

Etait-il d’ailleurs impossible d’acquérir Helgoland ? M. de Bismarck était homme à mener à bien cette négociation. Il fallait seulement saisir une occasion favorable, et les affaires coloniales la fourniraient. On pouvait compter sur la bonne volonté de l’Angleterre pour toute combinaison ayant pour résultat de gêner la flotte française, dans une guerre éventuelle. — Enfin il n’était pas dit qu’on ne pousserait pas, plus tard, jusqu’à la Jade. Mais il fallait garder le silence là-dessus pour ne pas effrayer l’opinion.

Au danger incontestable d’une coupure nette entre le Holstein et le Schleswig on pouvait parer de plusieurs manières. Aucune des voies de communication du Nord avec le Sud ne serait supprimée ; on s’efforcerait au contraire d’en augmenter le nombre. La défense du Schleswig serait assurée par les moyens les plus sûrs, et la garde du canal établie avec un vrai luxe de précautions. L’armée du littoral, comptant au moins 100 000 hommes de troupes de deuxième ligne, mais de troupes solides, serait concentrée sur la ligne Altona-Lübeck, afin de pouvoir se porter facilement soit sur