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M. Rolland intéresse, en partie du moins, l’histoire de la littérature. L’opéra, au temps de ses débuts, est en France un genre littéraire. Corneille, Molière, l’ont aidé à se former ; La Fontaine a ébauché deux opéras, si Racine a failli en écrire un et si Boileau s’en est tenu au prologue ; Thomas Corneille et surtout Quinault ont composé des drames lyriques qui cent années plus tard n’avaient pas lassé l’admiration de Voltaire. Tous les écrivains au XVIIe siècle se sont préoccupés de la fortune de ce genre nouveau, et ils ont deviné qu’elle ne serait pas sans action sur le destin des genres voisins. Il y a donc lieu d’examiner quelles influences ont amené l’établissement chez nous de l’opéra, de quels élémens il s’est formé, à quelles tendances il donnait satisfaction. L’étude de la tragédie en sera éclairée d’autant : l’histoire de la constitution et des succès de l’opéra est un chapitre indispensable de l’histoire de la décadence de notre tragédie classique.

L’opéra, c’est-à-dire le mélange de la poésie, de la musique et de la danse, existait depuis la fin du XVIe siècle en Italie. C’est de là qu’il nous est venu en droite ligne. C’est là que l’Italien Mazarin l’a été chercher pour nous l’imposer. On sait la ténacité que Mazarin apportait dans ses entreprises et qui le faisait triompher à la longue de toutes les résistances. Cette même opiniâtreté qu’il avait maintes fois fait servir à des causes meilleures, il la mit à introduire chez nous un genre qui était pour lui national. Dès 1645 il fait venir Giacomo Torelli décorateur machiniste que le duc de Parme consentit à céder, il mande le maître de ballets du grand-duc de Toscane Giovanni-Battista Balbi, lequel quitta Florence en poste pour arriver plus promptement en France. Les deux maîtres italiens organisèrent une représentation entièrement conforme au système des Feste teatrali adopté dans les cours d’Italie. On y joua la Finta Pazza de Giulio Strozzi, musique de Francesco Sacrati. Une partie de la pièce était encore déclamée. L’Orfeo de Luigi Rossi, qui fut représenté le 2 mars 1647 au Palais-Royal, dans la salle où Richelieu avait fait jouer Mirame, est tout à fait un opéra. Cette « tragi-comédie en musique et vers italiens, avec changemens de théâtre et autres inventions jusqu’alors inconnues en France, » se composait, suivant un chroniqueur du temps, « d’entrées magnifiques et d’une continuelle musique d’instrumens et de voix ; et tous les personnages chantoient avec un perpétuel ravyssement des auditeurs, ne sçachant lequel admirer le plus, ou la beauté des inventions, ou la grâce et la voix de ceux qui les récitoient, ou la magnificence de leurs habits. » En 1654, nouvelle représentation d’une œuvre italienne, les Nozze di Peleo e Teti, du compositeur Carlo Caproli. Le succès fut grand. La Gazette affirme que « la France n’est pas moins obligée de ces beaux divertissemens à Son Éminence, qui fait venir de si excellens hommes d’Italie, que du bon succès de nos affaires. » Néanmoins il est