douteux que l’opéra italien eût réussi à se faire accepter chez nous, si les voies ne lui eussent été frayées par ailleurs, et s’il n’eût trouvé, dans des genres déjà en possession de la faveur publique, un cadre tout prêt.
Le ballet de cour fut, dans l’affaire, le grand coupable. Lui aussi, il nous était venu d’Italie, d’où Catherine de Médicis l’apporta dans ses bagages. Depuis les règnes de Charles IX et de Henri III, le ballet ne cesse de progresser. Il s’épanouit sous Henri IV. Le Béarnais aimait follement la danse ; Sully ne l’aimait guère moins. Il s’était fait construire à l’Arsenal une salle de danse, et d’Aubigné nous le représente dirigeant un ballet, avec sa calotte sur la tête et un gros bâton à la main. Louis XIII « dansait assez bien un ballet » ; il composa celui de la Merlaison. Richelieu se sert du ballet pour traduire des idées de politique : ballet des quatre Monarchies chrétiennes, de la Prospérité des armes de France, qu’il est plus aisé de terminer les différends par la Religion que par les Armes. Mazarin y déploie une magnificence inouïe. Louis XIV, jeune, bien fait, aimant le plaisir, la flatterie et les beaux costumes, consacre à la danse dix-huit années de sa vie. C’est alors que le ballet atteint à sa perfection. Profitant du progrès du goût il devient plus délicat et plus ingénieux. Benserade en fait un genre littéraire. Un passage d’une lettre de Mme de Sévigné nous fait assez connaître en quelle estime les contemporains tenaient l’auteur de Cassandre et du Ballet des Muses. Furetière s’étant permis de ne pas l’admirer, « je trouve, écrit-elle, que l’auteur fait voir clairement qu’il n’est ni du monde ni de la cour, et que son goût est d’une pédanterie qu’on ne peut pas même espérer de corriger. Il y a de certaines choses qu’on n’entend jamais, quand on ne les entend pas d’abord ; on ne fait pas entrer certains esprits durs et farouches dans le charme et dans la facilité des ballets de Benserade et des fables de La Fontaine. » Le rapprochement est significatif : Mme de Sévigné, dont on a vanté souvent l’indépendance d’esprit, est admirable pour être l’écho de son entourage et le reflet de l’opinion d’autrui. Aussi bien pour les sujets qui sont empruntés à la mythologie, pour la morale faite d’une continuelle exhortation à aimer, pour la gracieuse banalité des vers, comme pour la mise en scène et le rôle assigné à la musique et à la danse, déjà le ballet de Benserade ressemble à s’y méprendre à un opéra de Quinault.
Le voisinage du ballet ne pouvait manquer d’être dangereux pour la tragédie elle-même. On le vit bien lorsque Corneille, en 1650, donna son Andromède. Il s’y faisait du ciel à la terre et de la terre au ciel un va-et-vient merveilleux. C’était le soleil enlevant Melpomène, Vénus apparaissant dans une étoile, Éole descendant avec huit vents, dont quatre sont à ses deux côtés, en sorte toutefois que les deux plus proches sont portés sur le même nuage que lui et les deux plus éloignés