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d’assez peu d’importance, car la femme nouvelle anglaise ne semble guère se soucier du Christ. Son unique préoccupation est de rejoindre l’homme dans toutes les directions où, depuis des siècles, il a été seul à marcher, de le rejoindre et de le distancer. Ou plutôt on dirait que l’unique préoccupation de la femme nouvelle n’est pas de distancer l’homme, mais de le supprimer ; car la haine contre l’homme, plus encore que son ambition de femme, se montre clairement dans tout ce qu’elle fait. Elle n’admet point qu’on lui accorde des titres, des honneurs, équivalens à ceux qu’on réserve à l’homme : ce sont les mêmes qu’elle réclame, et ses réclamations ont d’autant plus de chances de succès qu’elle n’est tenue vis-à-vis de son ennemi à nulle réserve de galanterie. Sans compter que l’homme, pour haï qu’il se sente, ne peut guère se résigner à la haïr à son tour, et qu’il n’y a pas une de ces réclamations de la femme nouvelle qui ne trouve aussitôt des hommes pour l’appuyer.

C’est, par exemple, un bachelier ès arts d’Oxford qui vient, le premier, de demander pour les femmes l’admission aux grades supérieurs dans les doux grandes universités de l’Angleterre. Il raconte, en faveur de sa thèse, les héroïques exploits d’une jeune fille, miss Grâce Chisholm, passionnée de sciences, ou plutôt de diplômes, et dont il nous dit lui-même qu’elle est « incomparable dans l’art de passer des examens. »

Cette jeune fille paraît en effet avoir pour les examens une attraction surnaturelle, comme d’autres pour les voyages ou pour les exercices du sport. En 1892, elle a réalisé — sans qu’il y eût à cela d’ailleurs la moindre utilité pratique — le tour de force de passer simultanément un examen de mathématiques à Oxford et un autre à Cambridge. Mais elle ne s’en est point tenue là. En 1893 elle est allée à Gœttingue, où elle a passé encore un grand nombre d’examens, qu’est venu enfin couronner, en avril dernier, un beau diplôme de docteur en philosophie, magna cum laude (la mention summa cum laude étant à peu près hors d’usage). Mais pour en arriver à ce magnifique résultat, on peut bien dire que miss Chisholm a mis en émoi toute l’université de Goettingue, et par contre-coup le monde universitaire allemand tout entier. Car il est dans l’instinct de ces héroïnes de viser toujours aux conquêtes impossibles : et pour obtenir l’autorisation de passer son examen de docteur, miss Chisholm a dû, après des mois de démarches, solliciter directement, en audience privée, les ministres à Berlin.

Et voici qu’après avoir, comme on l’a vu, bouleversé l’Allemagne, elle est en train d’amener une révolution dans les coutumes séculaires