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seulement qu’ils soient égaux à ceux que le gouvernement anglais a su obtenir lui-même lorsque, dans la convention du 1er mars 1894, il a déterminé les frontières de la Birmanie et de l’État de Muong-Lem. Si nos négociateurs se sont inspirés de ce modèle et s’ils ont aussi bien réussi, nous les en félicitons.

La vérité est que, si l’une des deux puissances a en ce moment un grief sérieux contre l’autre, ce n’est pas l’Angleterre contre la France, mais la France contre l’Angleterre. Nous nous sommes prêtés, avec une entière franchise, à l’envoi sur le haut Mékong d’une commission mixte, moitié anglaise et moitié française, en vue de faire une reconnaissance géographique des lieux, et de rechercher dans quelles conditions on pourrait créer un État-tampon, auquel l’Angleterre paraissait alors prendre un vif intérêt, et dont, pour ce motif, nous avions bien voulu admettre éventuellement le principe. Le délégué anglais et le délégué français ont procédé ensemble à l’exécution de leur mandat. La présomption générale était que la rive gauche du Mékong appartenait à la France et la rive droite à l’Angleterre. Tout d’un coup les Anglais, abusant des facilités que leur donne leur établissement en Birmanie, ont passé le Mékong et se sont établis militairement sur la rive gauche, à Muong-Sing. Le maintien du statu quo territorial était incontestablement, sans même qu’il fût besoin de le dire, la condition dont le respect permettait aux délégués des deux parties de continuer loyalement leur enquête. Comment les Anglais ont-ils pu violer cette règle primordiale de toute opération de ce genre ? Leur prétention est sans doute que Muong-Sing fait partie de la province birmane de Xieng-Keng : quand même cela serait, le motif ne suffirait pas pour justifier, ni même pour expliquer, au point où on en était, une prise de possession militaire. Ajoutons que cela n’est pas : Muong-Sing n’a jamais relevé du Xieng-Keng birman, mais bien de la principauté siamoise de Nan. Nos droits sur Muong-Sing sont aussi incontestables, et d’ailleurs aussi faciles à prouver, que nous contestons peu ceux des Anglais sur Xieng-Keng, bien qu’il leur fût peut-être plus malaisé d’en fournir la justification. Nous ne savons pas encore à qui il faut attribuer l’acte qui vient d’être commis : jusqu’à ce qu’il soit réparé, il rompt notre contrat avec l’Angleterre et il met un point d’arrêt brutal aux opérations que nous avions entreprises d’un commun accord. On cherche des fautes à relever : en voilà une. Elle a modifié complètement la situation locale. Elle révèle peut-être comment on comprend à Londres l’indépendance de cet État-tampon que, dans notre bonne volonté première, nous ne nous étions pas refusés à constituer. En vérité l’Angleterre nous rend tout difficile, sinon impossible, même ce que nous aurions sans doute consenti à faire pour lui être agréable. Il y a quelque chose de peu amical et presque d’agressif dans la violation du Mékong qu’elle vient d’accomplir. Et c’est à ce moment que ses jour-