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lorsque, conçu par elle dans la mort, dans la mort je vins au jour… » Et Ysolde : « Là où est la patrie de Tristan, là Ysolde veut aller. Elle veut le suivre, douce et fidèle, dans le chemin qu’il lui montrera… »

Et le héros mourant la précédait sur cette terre, frappé par le traître Melot.

Cependant le troisième prélude évoquait la vision du rivage lointain, des récifs arides et désolés où, dans les anses secrètes, la mer semblait pleurer sans trêve un deuil inconsolable. Une brume de légende et de mystérieuse poésie enveloppait les formes rigides de la roche, aperçues comme dans une aube incertaine ou dans un crépuscule presque éteint. Et le son du chalumeau pastoral réveillait les images confuses de la vie passée, des choses perdues dans la nuit des temps.

« Que dit l’antique lamentation ? soupirait Tristan. Où suis-je ? »

Le pâtre modulait sur le roseau fragile la mélodie impérissable, transmise par les ancêtres à travers les âges ; et, dans sa profonde inconscience, il était sans inquiétude.

Et Tristan, à l’âme de qui ces humbles notes avaient tout révélé : « Je ne suis point resté au lieu de mon réveil. Mais où ai-je fait séjour ? je ne saurais te le dire. Là je n’ai vu ni le soleil, ni le pays, ni les habitans ; mais, ce que j’y ai vu, je ne saurais te le dire… C’était là où je fus toujours, là où j’irai pour toujours : dans le vaste empire de l’éternelle nuit. Là-bas, une seule et unique science nous est donnée : le divin, l’éternel, l’originel oubli ! » Le délire de la fièvre l’agitait ; l’ardeur du philtre rongeait ses fibres intimes. « Ah ! ce que je souffre, tu ne peux pas le souffrir ! Ce désir terrible qui me dévore, ce feu implacable qui me consume… Ah ! si je pouvais te le dire, si tu pouvais me comprendre ! »

Et le pâtre inconscient soufflait, soufflait dans son chalumeau. C’était le même air ; les notes étaient toujours les mêmes : elles parlaient de la vie qui n’était plus, elles parlaient des choses lointaines et anéanties.

« Vieille et grave mélodie, disait Tristan, tes sons lamentables parvenaient jusqu’à moi sur les vents du soir lorsque, en un temps lointain, la mort du père fut annoncée au fils. Tu me cherchais, de plus en plus inquiète, dans l’aube sinistre, lorsque le fils apprit le sort de la mère. Quand mon père m’engendra et mourut, quand ma mère me donna le jour en expirant, la vieille mélodie arrivait aussi à leurs oreilles, languissante et triste. Elle m’a interrogé un jour, et voici qu’elle me parle encore. Pour quel destin suis-je né ? Pour quel destin ? La vieille mélodie me le répète :