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sur la colline qui s’allongeait dans la mer ténébreuse. Des groupes des ballons lumineux, pareils à des constellations de flamme, s’élevaient lentement dans l’air tranquille ; et ils semblaient se multiplier sans cesse, ils peuplaient tout ce rivage du ciel.

— Ces jours-ci, dit-il, ma sœur Christine est à Ortone, chez les Vallereggia, ses parens.

— Elle t’a écrit ?

— Oui.

— Comme je serais heureuse de la voir ! Elle te ressemble, n’est-ce pas ? Christine est ta préférée.

Pendant quelques secondes, elle resta pensive.

— Comme je serais heureuse de voir ta mère ! Puis elle reprit : J’ai si souvent pensé à elle !

Et, après une autre pause, d’une voix tendre :

— Comme elle doit t’adorer !

Une émotion imprévue gonfla le cœur de George. Son âme se tendit de nouveau vers la maison lointaine, s’inclinant tout d’un coup comme un arbre investi par la rafale. Et la résolution secrète, — prise dans l’obscurité de la chambre entre les bras d’Hippolyte, — vacilla sous le heurt d’un avertissement obscur, lorsqu’il revit en mémoire la porte close derrière laquelle était le lit de Démétrius, lorsqu’il revit la chapelle mortuaire à l’angle du cimetière, dans l’ombre bleuâtre et solennelle de la montagne protectrice.

Mais Hippolyte parlait, devenait loquace. Comme tant d’autres fois, elle s’abandonnait imprudemment à ses souvenirs domestiques. Et lui, comme tant d’autres fois, se mit à écouter en observant avec malaise certaines lignes vulgaires que prenait sa bouche dans l’abondance et dans la chaleur du discours ; en observant, comme tant d’autres fois, le geste particulier qui lui était habituel quand elle s’échauffait, ce geste si disgracieux qu’il ne paraissait pas lui appartenir. Elle disait :

— Ma mère à moi, tu l’as vue un jour dans la rue. Tu t’en souviens ? Quelle différence entre ma mère et mon père ! Mon père a toujours été bon et affectueux pour nous, incapable de nous battre, de nous réprimander durement. Ma mère est violente, impétueuse, presque cruelle. Ah ! si je te racontais le martyre de ma sœur, de la pauvre Adrienne ! Elle se rebellait toujours ; et cette rébellion exaspérait ma mère, qui la frappait jusqu’au sang. Moi, je savais la désarmer en reconnaissant ma faute et en lui demandant pardon. Cependant, avec toute sa dureté, elle avait pour nous un immense amour.., Notre appartement avait une fenêtre qui correspondait à une citerne. Et nous, par jeu, nous nous mettions souvent à cette fenêtre pour tirer de l’eau avec un petit